Mourir pour ne pas manger du porc ?
Le livre des Maccabées (on comprend pourquoi ce nom propre a pris chez nous une telle connotation !) est rempli de scènes de violence, généralement perpétrées par les séides du roi grec Antiochus qui voulait faire l’unité religieuse de son empire en éliminant l’exception juive. Voilà qu’on nous raconte la mort des sept frères condamnés les uns après les autres à une mort sanglante sous les yeux de leur mère. Le point sensible était la consommation de la viande de porc que la Loi n’autorisait pas.
Le catholique d’aujourd’hui se sent à mille lieues de ce genre de résistance forcenée. Qu’on souffre pour sa foi, passe encore (même si on espère que ces choses-là n’arrivent jamais), mais mourir pour un interdit alimentaire, quel fanatisme ! Il ne savait donc pas, ce pauvre jeune homme, que, dans une religion évoluée, tout est spirituel, Dieu n’a que faire de notre menu. Regardez comme nous savons faire aujourd’hui : on nous a dit qu’on pouvait remplacer l’abstinence de viande du vendredi (toujours inscrite dans le Droit canon) par une autre privation ou par un acte de charité plus appuyé, eh bien qui s’en soucie aujourd’hui ? On a même oublié que cela existait et on ne s’en porte pas plus mal. La messe du dimanche, c’est important, mais si, pour y aller, il faut refuser un repas en famille, on fera passer la bonne entente avant l’obligation. Quand même : on ne va gêner tout le monde pour une messe, ce ne serait pas très charitable. On ira le dimanche suivant (et on communiera sans se confesser, bien sûr). Il n’y a pas encore si longtemps dans les pays où les fêtes d’obligation tombaient un jour qui n’était pas chômé dans le pays concerné, les prêtres prévoyaient des messes très tôt le matin (ou très tard le soir) pour permettre à tous d’y assister. Maintenant on n’a plus besoin de cela : on déplace la messe en question au dimanche suivant et tout le monde est content.
Qui ne perçoit que cette religion soi-disant plus spirituelle est tout simplement une religion en décadence accélérée ? C’est vrai que tous les signes sont discutables, que tous les aliments sont purs, et plus encore que « le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ». Mais quand il n’y a plus de signe, quand on n’a jamais l’occasion de donner à Dieu la première place dans sa vie concrète, quand notre confort devient la seule valeur intangible que nous préservons à tout prix, il faut s’inquiéter. Jésus vivait dans un monde où la présence de Dieu dans la vie sociale était une évidence et il pouvait se permettre de mettre un peu de mou et de rappeler la priorité des attitudes intérieures. Mais nous ne sommes absolument plus dans cette situation. Le Christ était sensible aussi aux négligences qui déshonoraient le culte, saint Marc (11,15) nous dit qu’ « il ne laissait personne transporter d’objet à travers le Temple ». Rien que ce petit détail nous prouve l’importance qu’il attachait à l’attitude respectueuse dans les réalités du culte. Il a lui-même jeûné (très longuement), il a porté des phylactères, accompli des pèlerinages, célébré les fêtes avec le décorum requis.
Peut-être qu’il faudra inventer dans certains cas d’autres signes. Mais de toute façon il en faudra. Et il faudra se battre pour y être fidèles, même au détriment de la bonne entente, si c’est nécessaire. En tout cas, en dépit de notre paresse et de notre négligence.