Faire connaître le mystère
Dans la lecture de saint Paul qui nous est faite chaque année pour la fête de l’Epiphanie, il est question du « mystère ». Et il faut reconnaître qu’il y a là une difficulté, car, à lire de près le passage, on constate que le mystère, c’est au moins deux choses : le « mystère du Christ » dont Paul a eu la révélation sur le chemin de Damas et, en plus, le fait que tous les hommes (et pas seulement les juifs) soient destinataires de la Bonne Nouvelle : « toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile ». La nécessité de l’évangélisation à l’échelle de l’humanité est la conclusion directe du « mystère » dont le grand apôtre a eu l’intuition dès le départ, c’est un mystère dans le mystère, un secret de Dieu enfin révélé. Contempler le Christ mort et ressuscité mène directement pour lui à la découverte que tous les hommes ne sont sauvés que par et dans le Christ.
Pourquoi ? Parce que le salut, c’est la même chose que l’accueil de la Bonne Nouvelle. Nous sommes habitués à penser que le salut, c’est plutôt d’être admis au ciel, c’est d’aller au paradis et on s’étonne souvent que l’on y mette des conditions, du genre : il faut être baptisé, il faut professer la foi catholique, comme si la générosité de Dieu s’arrêtait aux barrières confessionnelles ! En réalité, nous sommes bien persuadés que Dieu veut sauver tous les hommes, mais que celui qui nous a créés sans nous ne nous sauvera pas sans nous, qu’il faut donc un acte de notre intelligence et de notre volonté pour consentir à nous laisser gagner par lui. Cet acte a nom : la foi. Car, pour l’aimer, il faut répondre à une initiative de Dieu qui s’est fait connaître, et, en Jésus, il a fait le maximum pour se faire connaître. Là où la création ne nous donnait encore qu’une idée vague de lui, il a pris par son Fils visage d’homme et réalité d’homme pour se manifester à nous dans toute sa vérité. Répondre à cette avance, c’est être sauvé. Saint Paul ne dit pas autre chose : « si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton cœur croit que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé » (Romains 10,9).
Bien sûr, on pourra objecter tous ceux qui, pour des quantités de raisons, n’ont pu accéder à cette connaissance du Christ et donc n’ont pu lui donner une adhésion explicite. C’est une vraie question, mais qui ne nous concerne guère, car tous ceux que nous rencontrons ne sont plus dans ce cas : en effet, si nous les rencontrons, nous sommes en mesure de leur faire connaître le Christ. Comment agira le Seigneur avec les Papous qui ont vécu avant l’arrivée du premier missionnaire, nous n’en savons évidemment rien, il aura sans doute eu une manière de se manifester à eux et de susciter une adhésion à son mystère. Mais cela nous échappe forcément.
Par contre, ce qui devrait être au cœur de nos préoccupations, c’est de porter la lumière le plus loin possible pour qu’elle atteigne ceux qui sont encore dans les ténèbres. Car, autre conséquence de l’équation que pose saint Paul, il y a identité entre l’annonce et le contenu du message. L’annonce n’est pas une tentative de publicité autour de la religion qui est la nôtre, elle est une mise en relation entre le Christ et le monsieur ou la dame que nous croisons dans la rue ou sur internet, elle est une manière de lui porter l’invitation. Mais, pour qu’il y réponde, il faut qu’il sache de quoi il s’agit, il faut qu’on ait déployé devant lui le mystère du salut, qu’on lui ait révélé la splendeur du dessein de Dieu, qu’il ait entrevu le visage du Christ. Ce n’est pas en nous regardant qu’il verra cela (même s’il vaut mieux que nous ne soyons pas trop des contre-exemples), ce n’est pas à nous, à notre communauté, qu’il se convertira, mais au Christ. Loin d’être une prise d’influence inspirée par un sentiment de supériorité, l’apostolat nous rend humble et nous oblige à nous abaisser toujours plus pour que le Seigneur puisse passer et faire son œuvre…