Jésus et le péché originel
L’année A nous donne l’occasion d’entendre le récit des origines dans les chapitres 2 et 3 de la Genèse, ainsi que le grand texte de saint Paul mettant en parallèle les deux Adam. C’est l’occasion de méditer sur la réalité du premier péché, que beaucoup de chrétiens sont prêts à ranger au musée des croyances dépassées.
Or, incontestablement, il fait partie des éléments essentiels de notre foi. Ne fût-ce que parce qu’il nous apprend de quoi nous avons été sauvés par le Christ : la mort et le péché. Si la mort était « naturelle » et faisait partie de la condition humaine avec ou sans péché, si l’immortalité n’était pas dans l’intention de Dieu dès le commencement (même si l’homme avait sans doute une épreuve à traverser pour y parvenir), la résurrection finale n’est que le happy end d’une histoire assez sinistre. Surtout si le péché n’est que la faute que nous pouvons commettre un jour et que Dieu nous remettra demain si nous le lui demandons, il n’y a rien à racheter, il n’y a qu’à faire confiance à la miséricorde de Dieu. Sans l’existence d’une réalité qui à la fois nous échappe et nous englobe, un mal chevillé au corps de l’humanité et que le Christ a vaincu, la rédemption est une plaisanterie.
La difficulté que beaucoup ont remarquée, c’est que Jésus ne semble pas faire allusion à l’histoire du premier péché, telle que nous la trouvons dans la Genèse. Quand il parle du mal, il mentionne souvent Satan, qui étend visiblement sa domination sur l’homme, au point de pouvoir être appelé dans saint Jean « le prince de ce monde ». C’est lui que Jésus rencontre dans les tentations, c’est lui auquel il se mesure tout au long de sa vie publique, dans ses guérisons et ses exorcismes, c’est lui qu’il va vaincre dans l’ultime combat de la Croix. La libération qu’il est venu opérer est donc notre délivrance de cet esclavage, ce n’est pas seulement l’enseignement salutaire qu’il nous donne, c’est une œuvre coûteuse qui s’opère au prix de sa souffrance.
Une autre image que Jésus lui-même emploie est celle de la dette : « le Fils de l’homme est venu pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Marc 10,45). On n’explique pas à qui la rançon est payée, mais le péché a un coût, il ajoute un fardeau supplémentaire à l’humanité. Jésus donne sa vie pour solder notre compte devant Dieu, toute cette dette accumulée depuis la création du monde. Là encore le péché n’est pas une affaire seulement entre Dieu et nous, qui pourrait se régler de gré à gré, c’est un drame qui nous dépasse, même si nous y participons.
Mettons bout à bout ces différents éléments : si la mort du Fils sur la croix dans l’ultime obéissance à son Père nous délivre de l’esclavage de Satan, c’est que ce dernier régnait sur nous, non seulement à cause de nos péchés personnels mais parce que nous appartenons à une humanité qui depuis le début est dupe de Satan et qui a contractée une dette que Jésus vient régler. Cela veut dire une solidarité dans le mal, que Jésus vient rompre en accomplissant l’acte exactement inverse de celui qui avait occasionné la catastrophe : l’obéissance parfaite au plus noir de la souffrance au lieu de la désobéissance commise dans un monde encore préservé du mal.
Nous ne sommes pas très loin de la narration du premier péché. Le caractère d’évènement que revêt la rédemption (un jour sur la croix) nous indique que le même caractère s’attache nécessairement au péché qui a enclenché le processus de mort (un jour en Eden).
Méditons sur tout cela et apprenons que le péché n’est pas un petit malentendu dans une gentille histoire entre Dieu et nous.
Michel GITTON