Se battre pour la Trinité ?
A peine les chrétiens étaient-ils sortis des grandes persécutions romaines, qu’ont commencé de vives controverses sur des questions comme la Trinité, la grâce, la nature du Christ, etc…. Certains diront : à quoi bon tout cela ? L’Islam est plus simple : « un seul Dieu ! » et tout est dit. Entre nous, cette apparente simplicité n’aura pas épargné aux musulmans les disputes et les affrontements sanglants !
Et puis on ne se dispute que pour ce qui est important à nos yeux, les Français d’aujourd’hui ne vont certainement pas se battre pour ou contre l’égalité du Père et du Fils ; mais ce n’est pas forcement bon signe : c’est que toute question un peu sérieuse ne les intéresse pas et qu’ils ne voient pas beaucoup plus loin que leurs congés et leurs retraites. La tolérance affichée cache souvent une incapacité à s’investir pour le vrai et le juste.
Heureux temps où on pouvait se passionner pour la sainte et indivisible Trinité ! Saint Grégoire de Nazianze raconte qu’on en discutait jusque sur le marché …. Les catholiques d’aujourd’hui se sont tellement habitués à considérer la foi comme un acquis qui serait derrière eux qu’ils ne voient pas l’intérêt d’en parler, et surtout pas à un incroyant. Si on leur demande à quoi ils croient, ils diront « en Jésus » bien sûr, mais la conversation glissera tout de suite sur la morale : être chrétien, c’est accepter de partager, c’est s’ouvrir aux autres etc… La Trinité, c’est tout juste bon pour les professionnels de la théologie !
Et si c’était intéressant ? Si c’était même cela précisément qui fait de nous des chrétiens, c.a.d. des disciples du Christ, lui qui nous a dit : « vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi » (Jean 14,11) ? C’est ce secret de la vie divine, dont il affirme qu’il est ouvert surtout aux tout petits, aux humbles capables de s’émerveiller : « je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler » (Matthieu 11,25-27).
La Trinité est un secret bien gardé, même s’il filtre par moment dans l’Ancien Testament : « faisons l’homme à notre image (…), Dieu créa l’homme à son image » (Genèse 1,26-27), « Ayant levé les yeux, voilà qu’Abraham vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui ; dès qu’il les vit, il courut de l’entrée de la Tente à leur rencontre et se prosterna à terre. Il dit : “Monseigneur, je t’en prie, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, veuille ne pas passer près de ton serviteur sans t’arrêter” » (Genèse 18,2-3). Il fallait d’abord établir fermement la foi au Dieu unique, avant de révéler, au cœur de cette unité suprême, le brasier d’amour des Trois.
C’est un secret qui demande beaucoup de délicatesse, si on ne veut pas le défigurer, en le ramenant à nos mesures toutes humaines. Les hérésies sont des appauvrissements, dès qu’on cesse de se laisser informer par la réalité qui nous est offerte dans la prière et la méditation des Écritures. Si les chrétiens ont pu se disputer et parfois se diviser sur ces questions, ce n’est pas parce qu’il ne fallait pas se les poser, mais parce qu’il fallait se les poser mieux : dans le respect, l’humilité, l’ouverture à une vérité toujours plus grande, la patience pour avancer vers une meilleure compréhension de l’Indicible.
« Dieu ne nous a pas dit : cherchez-moi dans le vide ! » (Isaïe 45,19).