Le péché contre la charité
Aujourd’hui l’examen de conscience des catholiques ne va guère au-delà des fautes contre la charité fraternelle : « je n’ai pas été gentille avec mon mari, j’ai gardé de la rancune contre mon employeur, je ne suis pas excusé d’avoir blessé un tel ». De faute contre les commandements de l’Eglise (messe du dimanche, abstinence du vendredi, jeûne eucharistique) nulle trace, pas d’avantage d’attention aux péchés contre nous-même (orgueil, gourmandise, « péché solitaire »).
Peut-être que jadis on était obnubilé par le péché de la chair, aujourd’hui ce n’est plus le cas : le domaine de l’interpersonnel est pratiquement le seul où on peut encore commettre des péchés. Comme c’est sans fond, on ne risque pas d’être à court dans notre aveu : on aura toujours de quoi dire quelque chose de pas trop compromettant !
Mais n’est-ce pas une erreur sur la charité ? L’amour qui constitue une des trois vertus théologales, et même la plus importantes d’entre elles, ne se limite pas au prochain, elle concerne d’abord Dieu qui requiert de nous non pas seulement de croire en lui et de le craindre, mais bel et bien de l’aimer : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Jésus ajoute même : « de toute ton intelligence »). Ce n’est pas rien d’aimer celui qui est plus grand que tout, de lui donner notre cœur jour après jour !
D’autre part, l’amour que nous vouons à nos frères en humanité n’est pas seulement du sentiment : aimer c’est vouloir le bien de l’autre, même au détriment du sien propre, et d’y travailler. Et tout y passe : il s’agit de son bien matériel sans doute (s’il est dans le besoin), affectif (s’il est blessé), mais aussi moral et spirituel (s’il ne connaît pas le vrai Dieu et ne se conforme pas à sa loi). La charité ira jusqu’à cet interventionnisme dans la vie de notre prochain que nous recommande le prophète Ezéchiel dans la lecture de ce dimanche : avertir, reprendre…
Saint Thomas d’Aquin nous a habitué à cette pensée que la charité est la forme de toutes les vertus, ce qui veut dire que cette charité entre en action à travers des comportements spécifiques qui sont le fait des diverses vertus. Il est bien d’être juste, c.a.d. équitable, mais la charité apporte un plus à cette qualité, la justice n’est plus seulement l’acquittement des dettes, mais une justice supérieure qui réconcilie les adversaires et les entraîne à se faire mutuellement des concessions pour s’approcher d’une paix durable. Il est bien d’être sobre et mesuré avec les jouissances de ce monde, mais il y a une manière supérieure de savoir se réjouir avec ses frères quand c’est le moment et de savoir aussi se priver à d’autres moments, pour ne pas insulter la misère des pauvres et contribuer à l’effort général.
Toutes les fautes sont bien en quelque sorte des manques d’amour, comme on le dit volontiers aujourd’hui. Mais cette déclaration risque d’aboutir à un constat tellement général qu’il n’est plus très efficace pour provoquer notre contrition et surtout notre « ferme propos » de ne plus retomber dans les mêmes péchés.
Tout en sachant bien que nos manquements sont toujours des « fautes contre la charité », nous avons intérêt à redescendre sur terre et à nous confronter sérieusement avec les commandements (ceux de Dieu et ceux de l’Eglise) ainsi qu’à la liste des sept péchés capitaux. Mais il faudra animer le tout d’un ardent désir d’union à Dieu, qui brûle tous les obstacles…