Le Christ notre Roi
La fête de « Notre Seigneur Jésus-Christ, Roi de l’Univers » clôture magnifiquement notre année liturgique, juste avant le premier dimanche de l’Avent. Pourtant, dans certains milieux catholiques, on regrette qu’elle ait émigré de sa date primitive (à la fin du mois d’Octobre juste avant la Toussaint), on fait remarquer que, par le fait même, la Royauté dont il s’agit a changé de caractère : ce n’est plus le rappel de la souveraineté qu’exerce dès à présent le Christ sur toute société humaine, c’est l’annonce du Règne eschatologique qui s’instaurera avec son retour. On perdrait ainsi de vue la destination première de la fête instituée par le pape Pie XI : rappeler aux pouvoirs publics (chrétiens, laïcs ou athées) que la société humaine est d’abord fondée sur le Christ, Alpha et Oméga de toute construction humaine, et que c’est sa loi d’amour et la sagesse des principes rappelés par son Eglise qui doivent être sa norme, sous peine de déchoir de sa dignité.
Pourtant la prière d’ouverture de la messe du Christ-Roi n’a pas beaucoup changé par rapport au précédent missel : « Dieu éternel, tu as voulu fonder toutes choses en ton Fils bien-aimé, le Roi de l’Univers ; fais que toute la création libérée de la servitude, reconnaisse ta puissance et te glorifie sans fin par JC… » (l’ancienne collecte finissait ainsi : « accordez à toutes les familles des nations, déchirées par la blessure du péché, de se soumettre à son joug très doux »). Plutôt que d’opposer deux visions des choses, on pourrait essayer au contraire de les rapprocher et de voir comment la royauté de la fin éclaire la royauté d’aujourd’hui.
Dans l’Evangile, Jésus n’a pas cessé de parler du Royaume de Dieu et on voit bien que celui-ci présente la même ambiguïté. Malgré une tendance très ancrée chez les lecteurs modernes, il faut refuser de voir dans cette expression une réalité exclusivement future. Il y a des passages très clairs (et ce sont même les plus fréquents) où le Royaume dont parle Jésus est une réalité présente : ce filet qui ramène des bons et des mauvais poissons, cette petite graine qui pousse toute seule ne s’appliquent qu’à l’Eglise dans laquelle nous vivons. Certes nous demandons à Dieu que son règne vienne, signe qu’il n’est pas encore tout-à-fait advenu, il y a donc un commencement, mais pas encore la plénitude du Royaume. Jésus nous habitue à vivre dans cet entre-deux.
Quand nous parlons du Règne du Christ (qui est évidemment le même que celui de Dieu, car un jour le Fils remettra sa Royauté à Dieu son Père, cf. 1 Corinthiens 15,24), il faut garder présents ces deux plans. Oui, un jour Dieu fera enfin ce qu’il veut, ayant détruit la mort et le péché et tous les peuples rassemblés contempleront sa gloire, reconnaîtront sa justice et entreront pleinement dans ses vues. Mais, en attendant, cette Royauté qui correspond déjà au projet inscrit dans le cœur de l’homme depuis la création se fraie un chemin à travers les réalités humaines. Principalement là où il y a des chrétiens, et des chrétiens nombreux et fervents, la douce Royauté de Jésus pénètre dans les réalités humaines et commence à les transformer. Ce ne sera jamais le paradis sur terre, car nous restons pécheurs, mais l’influence de l’Eglise souvent contrariée (même dans les sociétés officiellement chrétiennes, qu’on pense à l’esclavage !) finit par donner sa marque aux sociétés petites ou grandes où elle s’est implantée, elle invite à respecter la Loi naturelle, à veiller aux droits des pauvres, à honorer le mariage, à promouvoir la vie…
En honorant le Christ notre roi, nous devenons plus conscients de la responsabilité qui est la nôtre face aux sociétés où nous vivons. Sa Royauté ne s’imposera pas par la force, mais elle n’est pas pour autant réservée aux temps futurs. Elle peut constituer des ici-bas des oasis de paix qui donneront le goût de le servir et de l’aimer.