J’aimerais vous voir libres de tout souci
C’est une belle page que celle où l’Apôtre Paul détaille les titres de noblesse de la vie consacrée : « la femme qui n’est pas mariée ou celle qui reste vierge a le souci des affaires du Seigneur, elle veut lui consacrer son corps et son esprit ». Dès les premiers temps de l’Eglise, des vierges « pour le Seigneur » ont occupé une place importante. Mais il y avait aussi des hommes consacrés, « les eunuques pour le Royaume » dont parle Jésus.
Ce qui nous surprend davantage, c’est la justification qui en est donnée : à côté de motivations très spirituelles (« afin que vous soyez attachés au Seigneur sans partage »), il y en a d’autres qui semblent plus conjoncturelles (« en raison de la détresse présente »), voire carrément utilitaires (« pour être libre de tout souci »). Le célibat consacré serait-il une sine cure, une situation tranquille où on n’a pas de tracas, parce qu’on est affranchi des responsabilités de la vie de famille ? Ce serait une piètre motivation, et qui va trop dans le sens du reproche souvent adressé aux religieux, d’être des inutiles, vivant à l’écart du monde par peur, ou par égoïsme…
Paul est-il en train de nous dire que les vierges dont il parle sont moins données que ne peuvent l’être des gens mariés qui eux se sont bel et bien « livrés », dans le mariage, à un conjoint (cf. 1 Corinthiens 7,4 ; Ephésiens 5,25) ? Ce serait méconnaître son propos. Le célibat ou la virginité ne seraient un moindre don que si la consécration de sa vie au Christ n’était qu’une image pieuse sans conséquence concrète. « S’attacher au Christ sans partage » est vu par l’Apôtre comme un engagement nuptial, le mot qu’il emploie est très clair : « s’attacher » dans la parole de Dieu à Adam désigne le lien conjugal (Genèse 2,24).
Engagement de fidélité, d’abord, qui n’est pas rien, surtout quand la vierge vit dans le monde (comme c’était le cas de celles auxquelles s’adresse Paul), qu’elle est jeune et jolie et que son projet n’est pas forcément reconnu par son entourage, ce qui entraîne des combats quotidiens pour garder son cœur à Jésus.
Exigence de se renouveler sans cesse dans l’amour, pour ne pas laisser s’éteindre la flamme, parce qu’on n’aura pas pris les réserves suffisantes dans la méditation des Ecritures, l’oraison silencieuse, l’examen de conscience fréquent.
Appel au don généreux à l’égard de toutes les formes de misères, c’est à elles que la consacrée est comme vouée par destination, car sa liberté à l’égard des attaches ordinaires lui donne une particulière proximité avec les pauvres et la rend plus capable de les soulager.
Si saint Paul insiste tant sur le côté de liberté, c’est qu’il pense aux persécutions qui frappent lourdement les chrétiens, il sait qu’il est plus facile de risquer sa vie pour être fidèle à sa foi quand on n’est pas chargé de famille et qu’on ne craint pas d’entraîner des représailles sur les siens. En un peu moins grave, il pense aussi aux nombreux cas où la foi est une pierre d’achoppement entre membres d’une même famille, et où il faut tenter d’avancer à contre-courant par rapport à un conjoint ou des enfants… Jésus n’a-t-il pas dit qu’il serait une source de division ?
Comme du temps de Saint Paul, il nous faut bagarrer ferme pour soutenir la légitimité de la vie consacrée. Ne tournons pas autour du pot : les religieux et les religieuses ne sont pas là pour faire joli dans le tableau et nous rappeler le Moyen-Âge. Ils sont là parce que l’amour du Christ a tous les droits et qu’il nous entraîne au large…