L’amour de ta maison fera mon tourment
Je me suis parfois demandé pourquoi le récit de l’expulsion par Jésus des vendeurs installés dans le Temple figurait parmi les lectures du troisième dimanche de carême de l’année B. Dans la grande série des évangiles baptismaux de l’année A, on a la rencontre de Jésus et de la femme de Samarie, hautement significatif du renouvellement pascal que nous attendons. L’épisode de la Purification du Temple semble moins évident. Il peut sans doute se comprendre du zèle que déploie le Christ pour ce temple que nous sommes (« une demeure de Dieu par l’Esprit Saint », nous dit saint Paul, Ephésiens 2,22) et qui est si souvent encombré de vanités, de soucis qui n’en valent pas la peine, de plaisirs suspects etc… Mais cette explication moralisante est-elle suffisante ? Je ne le crois pas.
Visiblement, ce qui est mis en valeur, c’est l’extrême attachement de Jésus pour la sainteté du lieu où Dieu a daigné marquer sa présence au milieu des hommes : il est choqué de le voir transformé en espace commercial : les parvis que chantait le psalmiste comme le lieu de sa rencontre avec le Dieu vivant : « un jour dans tes parvis en vaut pour moi plus que mille » (Psaume 83,11) transformés en marché ! Un autre évangéliste nous dit qu’ « il ne laissait personne transporter quoi que ce soit à travers le Temple » (Marc 11,15). C’est tellement plus simple de traverser l’espace sacré au lieu de faire tout le tour ! Qui de nous ne l’a fait un jour ou l’autre à l’église ?
Certains diront : « qu’est-ce que cela peut faire au bon Dieu qu’on agisse ainsi ? N’est-il pas au-dessus de cela ? ». Aucun doute là-dessus, mais c’est à nous que cela fait du mal. Le respect nous grandit, l’attention aux choses de Dieu nous élève. Si l’on traite également nos parents et nos copains, il y a quelque chose qui nous manquera : le sens d’une relation plus précieuse, plus constitutive de notre être. On souffre trop aujourd’hui de la confusion, où tout finit par se ressembler et s’équivaloir, parce qu’il n’y a plus que quelques valeurs basiques : la santé, l’argent, le plaisir… Dieu nous rend au maximum la possibilité de distinguer, de hiérarchiser, de préférer vraiment : « cher », « chéri » ne disent-ils pas le prix des êtres ? Et Jésus, voyant que nous risquons d’y manquer, nous alerte : « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce ! ».
On parlait naguère de la « vertu de religion », comme cette capacité de reconnaître notre dette vis-à-vis de Dieu et de remplir le mieux que nous pouvons nos obligations à son égard. Ce n’est pas, encore une fois, qu’il ait besoin de quoique ce soit, comme les dieux païens qui réclamaient offrandes et sacrifices. S’il nous demande quelque chose, c’est parce qu’il nous prend au sérieux comme partenaires de son alliance. L’obligation de la messe dominicale, les privations du carême, le rythme des sacrements nous apprennent à ne pas nous conduire comme des goujats dans la maison de Dieu, à ne pas faire dépendre de nos humeurs la fidélité à ses rendez-vous. Ce n’est pas nous qui avons choisi Dieu comme solution à nos problèmes, c’est lui qui nous a choisis et qui nous a invités dans sa magnifique demeure.
Restons reconnaissants et sachons nous conduire en conséquence.