Sans moi vous ne pouvez rien faire
En ce cinquième dimanche de Pâques (année B), l’Eglise nous fait entendre le passage de l’évangile de Jean où Jésus développe la magnifique parabole du Cep et des sarments que nous connaissons bien. Trop bien peut-être, parce que nous ne sommes plus étonnés en la lisant par le coup de force que fait Jésus : reprenant à l’évidence un thème cher à l’Ancien Testament où la vigne, c’est Israël aimé et infidèle (cf. Os 10,1), il se l’applique à lui-même : « je suis la vraie vigne ». Je conseille à tous de relire le développement magistral qu’avait donné Isaïe (chapitre 5), à l’image de la vigne ainsi que le Psaume 79 (80 dans l’hébreu).
A première vue, dans l’évangile, toute perspective dramatique a disparu : Jésus, par sa vie toute donnée à son Père, a réalisé les attentes du Dieu de l’Alliance, il y a un homme, désormais, qui répond parfaitement à ce que la Loi visait derrière le détail des observances, il y a une vie toute habitée par Dieu. Il ne reste plus qu’à nous brancher sur ce courant de vie qui part du Cœur du Christ, à faire nôtres ses sentiments, sa vie intérieure et c’est gagné ! Communions, adorons, vivons notre vie chrétienne… Que désirer de plus ? En un certain sens, cela est vrai. Le retournement qu’opère Jésus par rapport à la parabole primitive nous libère du malaise qui nous vient quand on nous montre un bel idéal que l’on sent inaccessible. Là, au contraire, nous pouvons nous appuyer sur la réussite incomparable de Jésus et humblement nous laisser habiter par elle. L’Eglise en rejetant l’hérésie de Pélage a pris ses distances face à toute forme de volontarisme qui mène souvent à l’orgueil, mais souvent aussi à la déception et au découragement.
Pourtant, quand on y regarde de près, on voit que la perspective de Jésus n’est pas du tout de nous fournir un mol oreiller pour y poser notre tête, en nous disant : « tout va bien, du moment que vous pratiquez à peu près votre religion et essayez de ne pas faire trop de mal, le salut vous est acquis ». Le v. 4 nous dit : « de même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi ». Il s’agit de « demeurer » et, malgré l’apparence, demeurer, ce n’est pas du tout statique : demeurer, c’est rester dans un lien vivant avec Dieu par Jésus et c’est toute une aventure. Le v. 6 est encore plus clair : « Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent ». La perspective dramatique d’Isaïe n’a donc pas disparu, mais, au lieu de faire peser sur nous la totalité de l’exigence de la Loi, il s’agit de garder le contact avec la pédagogie de Jésus, la manière qu’il a de nous mener de plus en plus loin dans son obéissance, dans son amour des autres, dans l’offrande de sa vie. Et on y passe tout entier avec ça ! Regardez les saints…
Reprenons le début : « Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage ». Non seulement il faut rester accroché à Jésus, mais, en plus, pour porter plus de fruit, il va falloir nous laisser émonder régulièrement, et l’opération laissera quelques traces de sang.
Mais, derrière cela, quel merveilleux optimisme ! Allons-y, nous n’avons rien à craindre !