La Pentecôte, ou la dilatation du mystère
Nous sommes les disciples de celui qui a dit « je suis LE Chemin, LA Vérité et LA Vie ». Affirmation, presque insoutenable, d’une unique vérité, d’une unique vie, obtenues par une unique voie. Ce ne sont pas seulement les adversaires du christianisme qui crient au fascisme, c’est nous-mêmes qui par moment sommes gênés de devoir affirmer qu’au milieu de tant de chemins infiniment respectables que les hommes ont tracés vers l’absolu, il y en aurait un et un seul qui les remplacerait tous et qui, lui seul, mènerait au but. Si fort que soit le témoignage rendu par Jésus, si décisives que soient les lumières qu’il a apportées sur la condition humaine, comment le croire sur parole ?
Pourtant tel est bien le défi de l’Incarnation. Croire qu’en l’enfant de Bethléem Dieu s’est fait homme revient à dire qu’il y a en lui un être qui porte le sens de la totalité, et son avenir. L’Unique n’est pas dans les hauteurs inaccessibles du ciel, comme une point idéal qui dépasserait toutes les recherches concrètes des hommes et par là les unifierait toutes, non, il est né d’une vierge, il a vagi dans un berceau ! Le tout était là dans cette infime partie de notre monde. Tant qu’on n’est pas prêt à porter cette affirmation, on n’est pas arrivé au cœur de la foi.
Et cette exigence se porte ensuite sur l’Église qui partage la même position que le Christ : devoir, au milieu du monde, porter une parole définitive, un enseignement qui ne passera pas. En elle aussi l’absolu se joue dans le relatif, et avec encore beaucoup plus de fragilité.
Mais on ne peut pas s’en tenir là, car la figure du Christ présente dans notre monde est illisible si on la considère indépendamment de son Père et de l’Esprit Saint. Jésus est Dieu sur terre, mais il est le Fils et il n’a jamais cessé de le crier, jusque sur la Croix (« Père, entre tes mains je remets mon esprit ! »). Sans la certitude qu’il se reçoit tout entier du Père, sans la confirmation que le Père lui apporte dans ses œuvres et sa Résurrection, l’autorité qu’il revendique serait l’ambition d’un mégalomane. C’est éperdu d’amour pour le Père, appuyé sur son initiative, soucieux de correspondre totalement à son projet, prêt à tout remettre en ses mains, qu’il peut laisser entrevoir quelque chose de Dieu, c’est totalement vidé de lui-même qu’il ose proclamer : « qui me voit voit le Père ».
Et il en est également ainsi avec l’Esprit. Le Saint-Esprit n’est pas seulement là pour gérer la succession de Jésus, il est au cœur de sa vie : il est conçu de lui (credo), il exulte en lui (Luc 10,21), il s’offre par lui (Hébreux 9,8). L’Esprit donne à son humanité toutes ses dimensions, il lui permet de déborder ses limites, de rejoindre en profondeur toute quête humaine. Même si son enseignement a des contours précis et si sa figure n’est celle de nul autre, Jésus atteint à l’universel : par l’Esprit tous peuvent se reconnaître en Lui, tous peuvent le faire sien. Ses disciples sont ceux que le Père lui a donnés, mais les hommes qui viennent à lui, c’est l’Esprit qui les met sur sa route et doucement les attire…
L’Esprit a été donné à l’Eglise pour la garder dans cette lumière et l’empêcher de vouloir autre chose que de se faire l’écho du Verbe fait chair. Si elle « a » la vérité, c’est qu’elle accepte sans cesse de la recevoir du Père par l’Esprit, dans la prière et l’étude menée par ses enfants. C’est aussi parce qu’elle accepte de la transmettre, s’affrontant ainsi au flot toujours renouvelé des cultures et des langages, devant tracer toujours à nouveaux frais la ligne qui sépare la réception fidèle des gauchissements et des abandons, tout en accueillant l’authentique nouveauté qui se présente à elle. Celle-ci la provoque à creuser toujours plus profond dans le trésor de sa foi, pour y trouver ce qui éclaire de façon neuve le mystère du Christ. Du neuf et de l’ancien, non pas juxtaposés, mais unis dans la même confession que suscite en elle l’Esprit Saint.