La générosité de Dieu
Je n’aime pas beaucoup les paroles du cantique, aujourd’hui très répandu, qui vante « l’humilité de Dieu » Si, pour nous, êtres humains, l’humilité est une condition de l’amour, parce que nous sommes « terreux » (humus, d’où vient « humilité »), je ne vois pas ce qu’on gagne à mettre Dieu au niveau du sol. Il l’a fait en nous envoyant son Fils, c’est vrai, mais Dieu reste Dieu, et c’est même cela qui nous intéresse. C’est parce qu’il est vraiment grand et libre qu’il peut nous respecter infiniment. C’est son inépuisable surabondance qui est derrière la générosité infinie qu’il nous témoigne.
De cette générosité, il est largement question dans les lectures d’aujourd’hui. Le livre de la Sagesse nous dévoile l’innocence foncière de la création : malgré les apparences « ce qui naît dans le monde est bienfaisant et l’on n’y trouve pas le poison qui fait mourir ». Le mal n’est pas lié à l’être des créatures. C’est ce que le dogme du péché originel clame bien fort à ceux qui n’ont pas décidé une fois pour toutes de se boucher les oreilles.
Saint Paul, quant à lui, veut faire de ses correspondants de Corinthe des imitateurs de la générosité du Très-Haut, en partageant largement les biens reçus de lui. Il pousse même plus loin la réflexion, en parlant de la générosité de notre Seigneur Jésus-Christ : « lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté ». En se faisant homme dans les conditions qui sont les nôtres depuis la Chute, Jésus a connu cette situation où le don s’accompagne d’un manque : pour être réel, il suppose qu’on se prive de quelque chose, nous ne sommes plus dans la surabondance des origines, l’offrande est devenue onéreuse : donner sa vie, c’est accepter de la perdre. Les Corinthiens vivent comme nous sous le régime de la propriété privée : s’ils donnent de leur avoir, il sera défalqué de leur compte en banque. L’enseignement moral de l’Eglise nous rappelle que la propriété individuelle est un pis-aller, destiné à nous protéger, mais que l’idéal reste la destination universelle des biens de la création. Le don que nous faisons à plus pauvre que nous est un humble moyen de rejoindre cette destination première. En bien plus fort, en bien plus vrai, la charité du Christ en croix a franchi les limites de son existence individuelle, pour partager avec nous les trésors de la vie divine. C’est ainsi que l’amour rend sa fluidité à la condition humaine, là où, pour l’instant, tous les biens sont comme morcelés entre nous. Au lieu d’être fixés sur l’avoir, nous apprenons à être en communion.
L’Evangile de ce dimanche n’est pas étranger à cette perspective. Nous y voyons Jésus se partager entre plusieurs attentes : celle de cette femme épuisée par des pertes de sang et celle de ce père qui craint de perdre sa fille et ce qui est merveilleux, c’est qu’il se donne tout entier à chacun. Dans les deux cas, il s’implique jusque dans son corps, acceptant d’être touché par surprise et en même temps convoqué à faire un long trajet pour rejoindre l’enfant malade. Surtout, il vit là quelque chose qui annonce sa douloureuse passion : un jour c’est lui qui perdra tout son sang sur le chemin de la croix (nos ancêtres ne s’y sont pas trompés qui ont vu l’hémorroïsse, baptisée Véronique, essuyer le visage du condamné à la sixième station) ; c’est aussi lui qui attendra inerte l’heure de la Résurrection… Identifié à notre pauvreté, il nous partagera toute son inépuisable richesse.