Les autres Béatitudes
Tout le monde connaît les Béatitudes que l’on trouve en saint Matthieu que l’on trouve en saint Matthieu au début du « sermon sur la montagne » (5,3-9) : heureux les pauvres de cœurs, le Royaume des cieux est à eux et la suite. Comment se fait-il que les Béatitudes, un peu différentes, que nous donne saint Luc au chapitre 6 de son Évangile (versets 20-23) soient souvent méconnues ? Serait-ce qu’on les néglige, parce qu’elles ne sont que quatre, là où Matthieu en aligne neuf ?
Je croirais plutôt que c’est parce qu’elles nous dérangent d’avantage. Les quatre béatitudes lucaniennes sont suivies d’autant de malédictions: « malheur à vous les riches ! ». Même un peu adoucies (« malheureux êtes-vous ! »), c’est quand même difficile à entendre. On veut bien l’encouragement donné aux pauvres, mais on répugne à se sentir visé. Et puis ce qui est gênant, c’est ce « maintenant » qui ponctue à deux reprises le texte. Avec saint Matthieu, on avait l’impression que le Seigneur donnait des conseils de sagesse et encourageait à la vertu (vertus d’humilité, de patience, de tolérance etc…), on avait le temps devant soi, pour s’améliorer progressivement. Mais, chez Luc, c’est tout autre chose, il s’agit d’urgence : un évènement va arriver qui est tout proche, le jugement de Dieu sur le monde qui en sera ébranlé : ceux qui l’ont préparé peuvent déjà se réjouir, car ce jugement sera leur libération, pour ceux qui profitent de la vie et ne voient pas plus loin, ce sera la catastrophe. Bien sûr, les deux approches ne sont pas contradictoires, mais la deuxième a le mérite de nous mettre au pied du mur.
Seulement, pour que ça marche, il faudrait que nous croyions à ce jugement imminent, à ce retour du Christ dans le futur proche. Or nous ne sommes pas prêts à y croire, parce deux mille ans se sont passés depuis le matin de la Résurrection et que le Jugement dernier n’a toujours pas eu lieu. Beaucoup, même parmi les chrétiens, pensent que le Christ croyait son retour imminent et qu’en cela il se serait trompé. S’ils avaient raison, je ne vois vraiment pas comment nous pourrions continuer à lui faire confiance… Mais non, quand il parle du jugement, Jésus parle d’un évènement qui est à la fois unique (parce qu’il s’accomplit en plénitude au moment de sa passion : « maintenant a lieu le jugement de ce monde » Jean 12,31 ) et pluriel (parce qu’il a des réalisations partielles tout au long de l’histoire, à l’échelle d’une époque, d’un peuple, d’une Église etc…jusqu’au jour où il s’étendra à la mesure de l’humanité). Ce jugement est toujours un passage au crible, une destruction au moins provisoire, mais qui ouvre sur un avenir pour ceux qui seront jugés dignes de participer à la vie du Ressuscité. A l’échelle de notre vie, c’est notre mort individuelle qui est l’occasion de ce jugement.
Quand, dans l’Apocalypse, Jésus déclare à son apôtre : « je viens sans tarder » (3,11), il ne parle pas de la fin du monde. Il s’agit d’un passage du Christ dans l’histoire, quelque chose qui va se produire incessamment dans l’Église dont Jean est le pasteur et qui mettra à jour les défaillances des uns et des autres, mais révélera aussi ce qui tient bon. Or nous sommes sans doute dans le même cas, c’est pourquoi il faut nous accrocher.
A l’école de Béatitudes, nous devons être prêts à assumer les conséquences de notre adhésion au Christ, nous exposer, s’il le faut, à la pauvreté, aux larmes, à la faim, aux calomnies des autres, et en être heureux, parce que ça nous donne l’occasion de tendre de toutes nos forces vers le Christ qui vient !
« Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ! »