Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur
Ce qui fait le lien, ce dimanche, entre la première lecture et l’évangile est clairement le thème de la parole : la parole révèle l’homme Et pour cause : Dieu, en donnant la parole à l’homme, lui a partagé quelque chose de son être le plus intime : « le Verbe (la Parole) était auprès de Dieu, le Verbe était Dieu ». Y a-t-il communication plus parfaite que celle qui unit le Père à son Fils ?
Pourtant, aujourd’hui, la parole est souvent suspectée d’être légère (« les paroles volent »), superficielle (« ce ne sont que des mots ») et facilement menteuse (« la parole a été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée »). A Athènes, les sophistes se faisaient fort de pouvoir soutenir avec la même conviction des thèses contraires. Avec cela, on comprend que beaucoup déclarent : « assez de paroles, des actes ! ».
Le Verbe fait chair, lui au contraire, croit à la parole, c’est Jésus qui nous dit « que votre parole soit ‘’oui’’, si c’est ‘’oui ‘’, ‘’non’’, si c’est ‘’non’’ » (Matthieu 5,37). Les martyrs ont versé leur sang, parce qu’ils ont refusé de tenir un double discours, même pour sauver leur vie. On ne leur demandait généralement pas grand-chose, juste un petit assentiment au culte impérial, une déclaration d’allégeance qu’on peut toujours démentir par la suite…
Au-delà des échanges utilitaires, la parole nous a été donnée pour révéler quelque chose de nos pensées, de nos connaissances, de nos convictions, de nos sentiments, bref quelque chose de notre vie intérieure. C’est ainsi que nous recevons les uns des autres la nourriture pour notre intelligence et que se tissent des liens d’amitié et d’amour avec nos proches. La parole n’a de sens que si elle est un échange dans la confiance et la vérité. Nous ne sommes pas obligés de tout dire à tout moment, le silence aussi a sa grandeur et il faut souvent le garder, pour pouvoir énoncer ensuite des choses valables. L’heure n’est pas toujours venue de révéler certains points difficiles. Mais, si nous parlons, cette parole nous engage et elle doit être le reflet de ce que nous portons sous peine de défigurer l’échange, et d’engendrer la méfiance autour de nous.
La parole nous révèle beaucoup plus que nous le croyons, elle peut être entraînante, consolante, si notre cœur est joyeux, elle peut aussi traduire la colère ou la haine, même à notre insu. Elle révèle souvent le vide de nos vies, quand Dieu n’y est pas suffisamment présent : paroles creuses que l’on débite un jour d’obsèques, pour occuper le temps et faire semblant. Le 20e siècle a connu les paroles idéologiques, les discours stéréotypés des dirigeants politiques, qui finissaient par pénétrer dans la vie de tout le monde, engendrant l’ennui et le dégoût. Roland Barthes, qui fut un grand amoureux du langage, ne voyait guère que le discours amoureux pour nous faire échapper à cette fossilisation de la parole. Notre époque, où l’on peut tout dire, souffre aussi de ce vide : on n’a rien à dire, ou pas grand-chose, alors on l’étale dans le jeu de mot ou la provocation.
Jésus, dans l’Eglise, nous convie à une parole qui ne s’use pas : sa Parole transmise par les Ecritures et la liturgie. Mais, depuis le début, celle-ci été relayée par la parole de ses prédicateurs, de ceux qui ont pris le risque de parler après lui : non seulement sur lui mais en lui. On peut dire tout le mal qu’on veut des homélies dominicales, mais si elles n’étaient pas là pour nous faire entendre l’écho de la Parole, il y a longtemps que la Bible serait rangée dans les rayons de notre bibliothèque, comme une curiosité qu’on regarde de loin.
La prédication n’est pas une conférence ou un article de journal, elle est une parole qui nous est adressée personnellement et qui émane d’un messager mandaté par Dieu et mis par lui sur notre route. Ce qu’il nous dit ne tient pas seulement à son talent personnel, à ses études ou à son expérience, il n’est pas non plus un haut-parleur qui répéterait mécaniquement des mots venus du ciel. Sa parole résulte de sa propre confrontation avec la Parole. Plus il s’est laissé pénétrer par elle, plus il aura le moyen d’en transmettre la quintessence.
La même expérience, toute proportion gardée, se reproduit lorsque n’importe quel fidèle fait de l’apostolat et essaie de partager la lumière reçue à un interlocuteur rencontré sur sa route. Là encore « ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur ».