Grandir avec Dieu
Quand les Hébreux sont arrivés en Terre promise, la manne cessa de tomber. C’est normal : la manne était un secours extraordinaire pendant la marche à travers le désert, arrivés en Canaan il leur devenait possible de cultiver le sol et de cuire des aliments, alors Dieu les laissa œuvrer à leur subsistance. Il se cache derrière cet épisode une leçon spirituelle qui mérite d’être relevée.
Dieu agit souvent avec nous, surtout dans les débuts, après une conversion ou un retour, comme il l’a fait avec les descendants d’Abraham, il apporte des secours inattendus, il nous donne des grâces spéciales de prière, des lumières, des forces. Joie ! C’est un puissant encouragement. Mais il est rare que cela dure longtemps et très vite il va falloir recommencer à lutter, reprendre des résolutions, tenir dans la prière malgré la sécheresse et les distractions.
Pourquoi le Seigneur agit-il ainsi, alors que ce serait si facile pour nous de continuer d’être portés par les anges ? Mais il ne le veut pas et il a bien raison : si nous étions toujours soulevés par une grâce sensible à laquelle nous nous habituerions, il n’y aurait rien de nous dans cette vie d’amour avec lui. En nous permettant de marcher, même si c’est un peu titubant au début, il veut que nous mettions tous nos efforts à lui répondre et à faire ce qu’il nous dit. Il veut que nous connaissions la joie d’aller de l’avant et de lui apporter le fruit de nos travaux. Quelle satisfaction de pouvoir « se nourrir du travail de nos mains », comme dit le psalmiste (Ps 127,2) !
Très bien, mais l’histoire ne s’arrête pas là (pas plus pour nous que pour les Israélites). Quand nous en sommes à ce point, deux dangers nous guettent, ou l’orgueil ou la dépréciation de soi. L’orgueil spirituel est le plus terrible de tous : quand nous avons réussi à dompter la nature, à nous imposer un programme impressionnant de bonnes œuvres et de prières et que nous croyons que c’est arrivé, malheur à nous ! Nous sommes en grand danger ! Ce courage qui nous a permis de surmonter certaines tentations, cette force de caractère, cette puissance de travail, d’où viennent-ils ? de nous ? non pas ! C’étaient des dons. Et nous nous servons des dons de Dieu pour notre gloriole ! Ça se termine généralement très mal. Le moins dommageable, c’est encore une chute retentissante qui nous fait mordre la poussière et nous apprend l’humilité.
L’autre danger, c’est le découragement qui résulte du constat pessimiste que, livrés à nos propres forces, nous n’allons pas bien loin. Quand le Seigneur était là sensiblement pour nous faire avancer, nous avons parfois franchi des seuils, éliminé certains travers de notre caractère, renoncé sans trop de mal à des fautes récurrentes, mais, quand ce n’est plus le même régime (Jésus est pourtant toujours là, mais nous ne le sentons pas), le combat est harassant, la prière devient difficile et, malgré des confessions répétées, nous n’arrivons pas à nous détacher de ce qui nous fait du mal. Alors blessés, déçus, nous abandonnons la partie et nous nous disons que nous avons rêvé en pensant que nous pourrions devenir quelqu’un de bien. Pour parachever le tout, nous doutons de Dieu, de son amour, de sa présence.
C’est le même orgueil, bien sûr, qui est en jeu dans les deux cas. Et c’est pour nous apprendre à le déjouer que le Seigneur nous a menés dans ces parages. Alors, là, peut-être, commencera le chemin sûr et ferme qui nous mènera au cœur de l’amour.