“Je vous le dis : si eux se taisent, les pierres crieront”
Cette phrase intervient à la fin du récit que nous entendons au début de la procession des Rameaux. Les disciples de Jésus se sont laissés aller à saluer Jésus en criant : « béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur ! ». Il n’en faut pas plus pour que des observateurs de la scène avertissent Jésus et lui demandent de faire taire cet enthousiasme imprudent. L’acclamation est terriblement compromettante et risque de mettre le feu aux poudres dans une Ville déjà surchauffée, où les Romains sont prêts à mater dans le sang toute velléité d’indépendance. Jésus, pourtant si réservé sur la question de la royauté, ne les reprend pas et semble même les encourager.
Ce ne sera pas la dernière fois que des esprits sourcilleux feront valoir que Jésus aurait dû arrêter ses disciples, ne pas les laisser colporter sur son compte des exagérations et des prétentions qui dépassent le bon sens. Ernest Renan pensait que le vrai Jésus n’était pas dupe de la rumeur qui faisait de lui un faiseur de miracles. Il aurait combattu au début, mais ensuite il aurait laissé faire. Car, bien sûr, pour Renan, le miracle ne peut pas exister. Aujourd’hui il y a beaucoup d’auteurs (et pas seulement chez nos amis juifs) qui veulent confiner le maître galiléen dans un rôle de simple prédicateur qui enseigne une « voie » particulière au sein du judaïsme. Ce serait là encore ces incorrigibles disciples qui, comprenant mal ce que Jésus disait quand il parlait de son Père, auraient inventé toute une construction théologique pour le diviniser. On n’est jamais trahi que par les siens !
Pauvres disciples, on les savait un peu lourds et parfois querelleurs. Mais leur fidélité à leur maître est incontestable. Qu’ils n’aient pas tout compris tout de suite, c’est évident, mais leur évolution n’en est que plus significative : avant d’accepter que Jésus dépasse les limites de l’humanité ordinaire, il leur a fallu bien du temps. D’où leur seraient venues ces théories qu’on leur prête et qui s’apparenteraient à des spéculations gnostiques ou autres ? Ils étaient bien en peine de les connaître et de les comprendre. Mais ils savaient une chose : Jésus a fait des miracles, un jour ils l’ont vu ressuscité et ils l’ont touché, et il a envoyé l’Esprit Saint qui leur a donné une audace folle. Alors ils ont essayé de dire l’indicible avec les mots de l’Écriture.
A-t-on assez remarqué que Jésus ne se désolidarise jamais de ses disciples en public ? Quand ils sont critiqués, il les défend, même si, sur certains points, ils ne sont pas sans reproche (les mains non lavées pour se mettre à table). Jésus a voulu maintenir très fort ce lien avec eux, parce qu’il savait que c’est par eux que passerait l’incroyable nouvelle de son passage sur terre. Sans eux, sans l’Église qu’ils ont fondée, que resterait-il de Jésus ? Quelques rumeurs dont on voit l’écho chez Flavius Joseph et les historiens romains. C’est peu.
Depuis toujours, les critiques se sont acharnés à dissocier Jésus et l’Église, pour mieux faire oublier le premier en disqualifiant le second. Il nous faut donc fonder toujours plus profondément notre certitude que l’Église n’est pas un accident, étranger à l’intuition première, mais qu’elle est au cœur du projet du Christ, comme on le voit au moment de la désignation des douze et à la Cène. C’est en pensant à elle, son Épouse fidèle qui connaît les pensées de son Époux, qu’il a laissé à peine ébauchée la révélation de son identité divine, qu’il n’a pas précisé maints détails pourtant nécessaires pour la vie future de la communauté.
Et s’ils ne l’avaient pas fait, les pierres auraient crié !
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