La jalousie d’Israël
Depuis un certain temps, on s’interroge sur le « schisme » initial qui a séparé la communauté naissante de l’Eglise chrétienne du peuple d’Israël dont elle était jusque-là partie prenante. L’évènement que nous rapporte la lecture d’aujourd’hui et qui survint à Antioche de Pisidie, un trou perdu au fin fond de l’Asie Mineure, est certainement un tournant important dans cette histoire.
Nous y voyons Paul, lors de son premier voyage missionnaire, « passer aux païens » devant la résistance des juifs, ce qui ne veut pas dire, évidemment, que les convertis issus du judaïsme n’auront pas leur place dans l’Eglise, mais que, désormais, ils seront à égalité avec d’autres, issus d’autres peuples. Ce qui le pousse à cette décision, c’est la protestation véhémente qu’élèvent les juifs. Celle-ci n’est pas tant provoquée par l’enseignement de l’Apôtre (qu’ils semblent avoir plutôt bien accueilli le samedi précédent), mais par l’afflux de nouveaux venus, sans doute attirés par ce que leur ont raconté certains « craignants-Dieu », païens attirés par le judaïsme qui fréquentaient déjà la synagogue. Cette fois-ci, ce n’est plus une petite frange en voie d’assimilation, c’est une « foule » de têtes nouvelles qui se pressent autour des missionnaires et semblent menacer la pureté de la religion d’Israël.
Il nous faut bien comprendre que le judaïsme du temps du Christ s’est organisé comme une défense de la spécificité d’Israël, porteur du Nom de Dieu au milieu des païens. La Loi, avec ses observances minutieuses qui réglementent toute la vie, est comme la « haie » qui préserve le Peuple élu et l’empêchent de se laisser prendre au piège des idoles. En étendant presque sans condition aux païens l’annonce de la Bonne Nouvelle et l’entrée dans l’Eglise, Paul semble menacer l’existence même d’Israël.
A cela Paul pourrait répondre qu’en deux mille ans d’histoire, Dieu n’a jamais cessé de faire évoluer son Peuple, qu’il l’a fait passer d’une tribu nomade à une état organisé, puis à nouveau à un groupe d’exilés, dont seule une part est revenue sur sa terre, mais sous domination étrangère, et qu’à chaque étape, il a fallu sans doute préserver le dépôt et se défendre devant le danger d’une assimilation au monde ambiant, mais, en même temps, garder l’ouverture sur l’universel inscrite dès le début dans la religion d’Abraham (« en toi seront bénies toutes les races de la terre »). Jésus, en répondant à l’attente messianique, a proposé à Israël un ultime dépassement pour porter à tous les peuples la possibilité d’entrer dans l’Alliance définitive avec Dieu, moyennant leur conversion. Seule une partie d’Israël l’a suivi sur cette route. Et c’est le drame de saint Paul.
Mais il n’est pas sans espérance : cette même « jalousie » qui a suscité le rejet initial, pourra amener paradoxalement Israël à s’inscrire dans la nouvelle Alliance: « Par leur chute, le salut est arrivé aux païens, de manière à exciter la jalousie d’Israël. Or, si leur chute a été la richesse du monde, et leur amoindrissement la richesse des païens, que ne sera pas leur totalité! En effet, je vous le dis, à vous chrétiens nés dans le paganisme : moi-même, en tant qu’apôtre des païens, j’honore mon ministère, afin, s’il est possible, d’exciter la jalousie de ceux de mon sang et d’en sauver quelques-uns. Car, si leur rejet a été la réconciliation du monde, que sera leur réintégration, sinon une résurrection d’entre les morts? » (Romains 11,11-15).
A nous aussi de porter cette espérance.