Ils désignèrent des anciens pour chacune des églises
Ça n’a l’air de rien, on pourrait croire qu’il s’agit seulement de placer quelques responsables pour le bon fonctionnement des communautés nouvellement fondées par Paul et Barnabé, alors qu’il s’agit bel et bien d’ordonner des prêtres pour les églises qu’ils ont fondées. Que le nom d’ « ancien » ne nous trouble pas, c’est tout simplement le terme qui a donné en français le mot « prêtre » (du grec presbutéros, c.a.d. ancien). Cela ne veut pas dire qu’ils étaient tous nécessairement vieux, mais ce titre, qui vient de l’hébreu (ziqeney qui signifie « barbus » !), désignait au temps du Christ les responsables qui dirigeaient les communautés juives de la Diaspora.
Mais justement, certains pourraient objecter que ce titre n’a rien de « sacerdotal ». Pourtant il existait dans le judaïsme des « sacrificateurs » (kohanim) pour le Temple de Jérusalem qui offraient les victimes sur l’autel et répondaient aux consultations sur le Loi, ils étaient fortement sacralisés et leur investiture était une cérémonie impressionnante, or ce n’est pas ce titre (ou son équivalent grec hiéreus) qui est employé au départ pour les ministres de l’Eglise chrétienne. C’est beaucoup plus tard qu’on leur a appliqué le langage sacerdotal, et – conséquence amusante ! – le mot français « prêtre » (qui a évincé « sacerdote », encore utilisé en ancien français) a fini par désigner le ministre du culte…
Si je m’attarde sur cette histoire de nom, c’est qu’elle a servi, il n’y a pas si longtemps, à discréditer la doctrine de l’Eglise sur le caractère sacré de la mission des prêtres. On nous a dit que ceux-ci étaient au départ des hommes mûrs qui exerçaient des fonctions de direction au profit de la communauté ; sans doute, à certaines occasions, présidaient-ils le culte et – pourquoi pas ? – le repas du Seigneur. Mais cela n’aurait impliqué pour eux ni mode de vie particulier, ni consécration spéciale, ils auraient pu exécuter cette fonction pour un temps déterminé etc…
Mais tout cela n’est qu’imagination. Ce n’est pas parce que nous avons peu d’informations sur ces « anciens » des premiers temps qu’il faut les imaginer sur le modèle des pasteurs protestants (qui, eux au moins, ont le ministère de la parole !). Saint Jacques nous dit, qu’en cas de maladie, on faisait appel aux « anciens » : « ceux-ci prient sur lui (le malade), en l’oignant d’huile au nom du Seigneur » (5,14), ce qui montre déjà le lien avec les sacrements. Ils ont au préalable connu une véritable ordination par imposition des mains, reçue d’un apôtre et de tous les membres du presbyterium (1 Timothée 4,14). Cette fonction d’ « ancien » prolonge visiblement le ministère apostolique, puisque saint Pierre, s’adressant à ceux qu’il connaît, se dit « co-presbytre » avec eux (1Pierre 5,1). Or le Christ à la Cène a bien marqué qu’il « consacrait » ses disciples, au sens fort du mot, pour qu’ils soient ses envoyés comme il est l’Envoyé du Père (Jean 17,18-19). Il leur a lavé les pieds comme préalable à cette consécration sacerdotale et, comme Pierre se rebiffait devant ce geste fou d’abaissement, il l’a menacé de l’exclure de la « part » qu’il avait avec Jésus (souvenir des lévites qui avaient Dieu pour « part », dans le Temple de Jérusalem, cf. Psaume 15 (16), 5-6).
Comme on le dit souvent et à juste titre, si les premières générations chrétiennes n’ont pas employé un vocabulaire « sacerdotal » pour parler des ministres de leur Eglise, c’est que, d’une certaine façon, la place était prise par les officiants du Temple de Jérusalem et ceux des temples païens : s’en servir pour l’Eglise chrétienne aurait impliqué un grand risque de confusion.
En ces temps difficiles pour le clergé catholique, ne laissons pas s’obscurcir la réalité de son institution par le Christ !