La vraie victoire de Dieu
Les lectures de ce dimanche (au moins celle de l’Ancien Testament et celle de l’Evangile) illustrent magnifiquement le thème de la miséricorde divine face aux pécheurs.
A la fin du récit du Veau d’Or, la première réaction du Dieu saint d’Israël était d’éradiquer ce peuple décidément trop ingrat et d’en susciter un autre. Moïse parvient à apaiser le Seigneur en lui montrant que ce plan de rattrapage ne serait pas forcément tout à son gloire. Alors « le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple ».
Que l’on décrive ainsi l’attitude de Dieu qui pardonne finalement à son peuple sa lourde faute est bien normal : à la légitime indignation que suscite l’idolâtrie des Hébreux succède une volonté de l’épargner et de lui ouvrir la possibilité de se racheter. Mais en réalité ces deux mouvements ne sont pas en opposition l’un à l’autre, comme ce serait le cas chez nous, si nous avions à pardonner les torts de quelqu’un. En Dieu la colère (pour employer le langage de la Bible) est le signe de l’incompatibilité qui existe entre lui et le mal. Mais la volonté de Dieu n’est pas d’anéantir le coupable, c’est bien plutôt de le convertir, car c’est là sa vraie victoire sur le mal. « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ezéchiel 33,11).
Compte tenu de la liberté humaine, cette conversion n’est pas acquise d’emblée, elle ne dépend même pas d’un décret divin. Il faut que le Père mette la main (ou plutôt ses deux mains) à la pâte : par son Fils il vient nous rejoindre dans notre cheminement humain, par son Esprit il se glisse dans notre cœur pour le transformer en cœur de chair. Et cette opération s’opère au maximum quand, par les sacrements, nous nous laissons brancher sur le Cœur ouvert de Jésus en croix.
Ce qui veut dire que la miséricorde de Dieu à l’égard du pécheur n’est pas seulement un pardon, comme s’il acceptait à la fin de passer l’éponge sur nos erreurs répétées. Il s’agit de restaurer en nous quelque chose qui était perdu, ou atrophié : le dynamisme de notre volonté blessée par le péché, pour que notre liberté rejoigne enfin la volonté divine. C’est pourquoi à l’expression « sacrement du pardon », je préfère « sacrement de la conversion ». La formule latine (ego te absolvo) est sans doute plus proche de la réalité que celle qui est employée en français : « absoudre », c’est faire tomber les liens, c’est rendre sa liberté à l’être humain captif de son péché. Le changement n’a pas à venir de Dieu (qui nous a toujours aimés), mais de nous (qui sommes empêtrés dans les liens du mal).
Peut-être que nous pourrions trouver l’écho de cette manière de voir dans la parabole si connue de l’Enfant prodigue. Ne peut-on pas imaginer que c’est Jésus qui est venu secrètement rejoindre son petit frère tombé dans la déchéance, et que c‘est grâce à lui, à ses soins, à ses encouragements, mais aussi à l’Esprit, que le redépart a été possible, la marche titubante vers la maison paternelle… ?