De quel universalisme parlons-nous ?
Saint Paul a contribué plus que quiconque à donner au christianisme naissant une figure universelle. Sans renier le moins du monde le lien constitutif qui attache l’Eglise à sa racine, le peuple juif, il a mis en valeur la destination universelle de la prédication évangélique, car Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité ». Le Christ n’est pas seulement le Messie d’Israël, « il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous ».
En conséquence, les chrétiens doivent accepter leur situation de citoyens, là où ils habitent. Grecs, Juifs ou Gaulois, ils ne dépendent plus d’un état théocratique, comme l’était l’ancien Israël, où Dieu avait partie liée avec la réussite temporelle d’un royaume terrestre. Et, comme l’Empire romain assure de fait une paix générale et une certaine universalité, il est la structure la mieux adaptée à la diffusion de la foi chrétienne. Même si son chef s’appelle présentement Néron et n’a pas précisément bonne réputation, il faut prier pour lui.
Pour autant, l’apôtre Paul n’envisage en aucun cas de partager l’idéologie de l’Empire, il n’accepte cette insertion dans la romanité que sous réserve qu’elle n’intervienne pas dans la vie de l’Eglise, et parce qu’il est convaincu que la foi est capable de transcender toutes les appartenances culturelles, ethniques et même politiques, si bien que tous les sujets de la puissance romaine sont de droit destinataires de la Bonne Nouvelle. Les martyrs eux devront combattre et verser leur sang pour refuser l’assimilation qui prend la forme du culte impérial. Mais globalement le pari de saint Paul sera un succès et permettra un jour la conversion de l’Empire.
Nous ne sommes sans doute pas dans la même situation depuis les « Lumières » du XVIIIe siècle, c’est le christianisme (et surtout le catholicisme) qui est maintenant considéré comme une appartenance particulière, marquée par l’histoire. Les catholiques sont sommés de s’ouvrir à un universel, mais un universel qui n’est pas le leur : pour avoir gardé des traces du christianisme, il en rejette l’esprit et il en combat le programme. Mais, pour le présent, nous sommes bien obligés de nous loger dans un monde sans Dieu. L’avenir dépendra de notre capacité de lui opposer le même refus que celui des premiers martyrs : nous ne pouvons pas adorer Mammon et le Sexe à la place du Dieu vivant. Surtout nous devons continuer à croire que la foi n’est pas négociable et que le Christ est le salut de tout homme, le « seul nom donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés » (Actes 4,12). Le créneau le plus difficile à tenir, hier comme aujourd’hui, est bien celui-là : refuser l’égalisation de tous les points de vue au nom de la tolérance et du vivre ensemble. De même que nos pères dans la foi se sont signalés par une particulière pugnacité en renversant les idoles et en refusant la nébuleuse interreligieuse de leur temps, nous devons manifester sereinement mais fermement qu’il y a une Vérité et que c’est le Christ.
Et en même temps nous ne devons perdre aucune occasion de discuter avec les hommes et les femmes de notre temps, sûrs qu’ils sont comme nous habités du désir de l’absolu et que seule l’occasion a manqué jusqu’ici pour qu’ils le reconnaissent.