Porter sa croix pour la pécheurs
Saint Paul prisonnier, chargé de chaînes, a la conviction que sa souffrance n’est pas perdue : « je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent, eux aussi, le salut qui est dans le Christ Jésus ». Pourtant il n’a pas le choix, il est bien obligé de subir son sort, maintenant qu’il a été déféré devant le tribunal impérial. Mais justement, ce qu’il pourrait seulement subir avec plus ou moins de révolte, il l’offre à Dieu pour faire avancer ceux qui s’approchent de la foi. Quelle est donc cette mystérieuse alchimie qui fait passer des coups reçus en fruits de grâce ?
Je me souviens que pendant mon service militaire (ce n’est pas d’hier), le major chargé de nous vacciner disait, avant d’enfoncer l’aiguille : « pense à ta femme et à tes gosses ! ». Pour moi qui étais déjà séminariste, ce n’était tout à fait d’actualité, mais je trouvais moyen de penser à ma mère ou à telle autre personne proche et… ça marchait ! On serrait les dents et c’était fini.
Mais ce n’est pas tellement cela que vise saint Paul dans le passage que nous regardons, ce n’est pas seulement un truc psychologique pour surmonter la souffrance en pensant à un être cher. Il s’agit bel et bien d’entrer dans le cœur du mystère de la Rédemption.
Ce que le Christ a fait en s’offrant à son Père pour nous, c’est de retourner tout ce qui blessait son humanité en surcroît d’amour. Alors que la souffrance nous éloigne naturellement de Dieu et de nos frères, lui il a maintenu à travers elle le contact jusqu’au bout, jusqu’à l’insoutenable, il a fait quelque chose avec ce rebut de notre condition humaine que Dieu n’avait pas voulu en nous créant. Et le Démon qui se sert d’elle pour nous couper de notre Créateur en a été pour ses frais : il a atrocement torturé Jésus et Jésus lui a échappé !
Or, la surprise, c’est que cette traversée du mal et de la souffrance que le Sauveur a accomplie victorieusement, nous n’en sommes pas seulement les bénéficiaires, nous pouvons en être (à notre toute petite échelle) les continuateurs. Non seulement en faisant le bien, en luttant pour rester fidèles, mais, à l’heure de la souffrance, en offrant ce que nous sommes bien obligés de subir, en en faisant un acte d’amour, – d’amour de Dieu d’abord, en l’assurant que nous ne le rendons pas responsable du mal, que nous le savons infiniment bon et infiniment aimable, – mais aussi d’amour des autres, en faisant cette offrande pour eux, pour que le Père les délivre du mal, leur ouvre son ciel. Et c’est très puissant ! Comment mépriserait-il ce don douloureux et fidèle qui lui rappelle celui de son Fils sur la croix ?
Nous ne sommes plus très habitués à offrir ainsi nos croix, comme le faisaient beaucoup nos anciens mais c’est dommage après tout ! Perdue pour perdue, la souffrance qui se donne a une incomparable fécondité, tandis que celle qui se refuse et se dresse accusatrice devant Dieu et les autres tourne à l’amertume et au désespoir. Il n’y a pas de plus grand accès au cœur des autres, spécialement de ceux qui luttent et qui peinent pour trouver la foi, ou pour sortir du péché. Ils n’en sauront sans doute jamais rien ici-bas, mais c’est l’œuvre de telle personne qui, sur son lit d’hôpital ou sur un champ de bataille, aura tout remis à Jésus pour le salut des âmes en quête de la lumière.
Ainsi se tissent les liens invisibles de la communion des saints. Nous-mêmes nous en aurons sans doute bénéficié avant de devenir, à notre tour, agents de l’extension du règne de la grâce sur la face de la terre.
Oh oui ! Offrons nos croix par amour, ne les gardons pas pour nous ! Jésus veut les porter avec nous.