Travaillez et ne vous installez pas
Dans les lectures d’aujourd’hui la condition des chrétiens dans le monde apparait sous deux jours bien différents: à ses disciples qui admirent cette merveille du monde qu’était le Temple de Jérusalem rebâti par Hérode, Jésus pronostique sa prochaine destruction et les malheurs qui vont s’abattre sur le peuple d’Israël, conclusion : nos œuvres sont peu de choses. Et, de l’autre côté, saint Paul exhorte ses correspondants à ne pas attendre dans l’oisiveté les bouleversements à venir, mais à se retrousser les manches et à travailler, conclusion : nous avons malgré tout quelque chose à bâtir. Malgré tout le message est clair : il faut œuvrer sérieusement pendant qu’on en a encore la possibilité, mais se tenir prêt à partir demain, s’il le faut, avec le minimum de bagages.
Cette vision des choses nous oblige à réviser certaines de nos idées sur le travail: celui-ci, pour nécessaire qu’il soit, n’est pas le tout notre vie; de toute façon, il faudra s’arrêter un jour sans avoir réalisé tous nos rêves de carrière, et même sans avoir terminé l’œuvre que nous avons commencée. A force de peine, nous n’ajouterons pas une coudée à notre taille. Mais, pour autant, nous n’avons pas le droit de nous estimer affranchis du labeur qui nous est fixé : tant qu’il fait jour et que nous avons encore la possibilité, il faut œuvrer sérieusement, tout en gardant un certain détachement.
C’est cette conviction qui a inspiré le travail monastique. Le pape Benoît XVI faisait remarquer que ceux qui ont le plus œuvré pour l’avancée de la culture et le progrès des sciences et des arts étaient des hommes qui avaient pour mission de chercher le ciel, mais ceux-ci, devant travailler pour gagner leur pain quotidien, construire leur monastère et secourir les pauvres, menaient assidûment et consciencieusement leurs tâches, sans chercher le profit ni la gloire personnelle.
Pris entre la paresse et l’activisme, nous manquons souvent l’objectif, notre rythme est saccadé, nous attrapons des burn out, ou, au contraire, nous perdons notre temps, “affairés sans rien faire”, comme dit Paul. On dira sans doute que les conditions actuelles ne nous aident pas: précarité, chômage, etc… Mais ont-elles jamais été idéales? Prenons ce qui nous est donné et essayons d’accomplir notre tâche le mieux que nous pouvons, tout en refusant de nous y donner complètement.
Plus profondément, il nous faut découvrir que la quête de Dieu est le moyen le plus sûr de mener à bien nos tâches terrestres. Seule une vie en marche vers Dieu nous donnera la largeur de vue, le désintéressement, la patience, le courage pour entreprendre et durer. C’est le péché qui nous fait surestimer nos forces, manquer de clairvoyance dans nos choix, nous obstiner bêtement à suivre une voie incertaine et à la fin nous décourager etc… Les hommes les plus efficaces ne sont-ils pas les saints, qui, ayant la tête au ciel, avaient aussi plus réellement les pieds sur terre ?