De Nazareth à Capharnaüm
Les lieux ont une grande importance dans la narration évangélique. Jésus, dont toute l’enfance s’est passée à Nazareth, quitte cette bourgade pour se fixer à Capharnaüm, au nord du lac de Tibériade, c’est là qu’il va commencer sa vie publique. Nazareth était à l’époque un trou perdu, Capharnaüm était au contraire sur le grand axe qui mène de la Mésopotamie à la Méditerranée, par la Via Maris, qui avait été au fil des siècles le chemin de toutes les invasions et aussi, bien sûr, celui du commerce, d’où la présence de publicains, comme justement Matthieu. De surcroît, on est tout près de la frontière entre les états de deux fils d’Hérode : Antipas et Philippe, qui possèdent l’un la Galilée et l’autre la région au-delà du Jourdain. Bonne position, s’il faut déguerpir et échapper à Hérode.
Matthieu illustre ce déplacement par une longue citation du prophète Isaïe au chapitre 8 (texte qui nous fournit la première lecture de la messe d’aujourd’hui), la pointe est de nous dire que c’est précisément en Galilée, ce territoire où les païens se sont installés nombreux au détriment des fils d’Israël, que Dieu va intervenir de façon spectaculaire… Il est clair pour l’évangéliste que cela va réaliser avec Jésus à Capharnaüm, car il vient de Dieu et il va inaugurer le Royaume.
Quand la Sainte Famille s’était installée à Nazareth, Matthieu avait aussi trouvé une citation scripturaire pour illustrer l’épisode : « il sera appelé Nazaréen ». Seulement, cette citation, vous la chercherez en vain dans votre Bible. Tout ce que vous trouverez, c’est le texte du livre des Juges (13,5.7), où il est dit de Samson, le futur héros des guerres avec les Philistins : « il sera nazir (c.a.d. consacré) ». Cette consécration supposait l’abstention totale de vin et de boisson fermentée pour la mère et l’enfant et le fait de laisser pousser sa chevelure sans la raser. La « consécration » que vit Jésus est bien plus radicale et elle l’amène d’abord à se mêler à l’humanité dans la banalité d’un lieu sans gloire : Nazareth.
Les deux citations nous font voir l’importance du pas que franchit le Christ en allant de Nazareth à Capharnaüm : il fallait d’abord qu’il se fasse homme et qu’il accepte, lui le Tout Autre d’être un parmi les autres, levain caché dans la pâte, mais il fallait aussi qu’il sorte un jour de cet incognito et qu’il commence à parler et à grouper des disciples, car, si parfaite qu’ait pu être la vie de l’enfant, puis du jeune adulte à Nazareth, elle n’avait encore rien enclenché, on l’a peut-être admiré, et ce n’est même pas sûr, en tout cas il n’a pas eu de disciple.
Si on me permet d’en tirer une leçon, c’est qu’il faut certes être présent au monde qui nous entoure, mais qu’il faut aussi parler. Ceux qui nous font croire que le seul apostolat sérieux serait le témoignage silencieux d’une vie aimante ont oublié la moitié de l’histoire.
Mais, bien sûr, il y a aura une autre transition et combien plus grave, celle qui mènera Jésus jusqu’à Jérusalem, la ville qui « tue les prophètes et lapide ceux qui lui sont envoyés » (Matthieu 23,37). Et il fallait aussi ce chemin vers le Calvaire…