La grâce est devenue visible !
C’est ce que dit saint Paul. La grâce était en réserve dans le cœur de Dieu, mais, avec Jésus, elle s’est manifestée ! Entendons bien que la grâce, ici, ce n’est pas l’action intérieure que Dieu opère en nous par le baptême et qui reste largement invisible, mais c’est le don que Dieu nous fait à travers son Fils devenu l’un d’entre nous, c’est un fait d’histoire et c’est une grâce, c’est un cadeau magnifique !
Dans le même sens, l’Évangile d’aujourd’hui (qui consonne très fort avec ce passage de l’Épitre à Timothée que nous lisons) nous montre que le Christ veut, par moment au moins, une certaine visibilité de son œuvre de salut. C’est pourquoi il prend l’initiative d’entraîner sur la montagne trois de ses disciples pour ce moment de lumière, dont ils ressortiront transformés. Dieu ne joue pas à cache cache avec nous. Si, de fait, il se cache souvent, il lui plaît aussi de se manifester pour confirmer notre foi et lui donner une base solide. Rappelons-nous les noces de Cana : « il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui ». Ne faisons pas la fine bouche quand le Seigneur nous rend sensible à son passage et nous permet de voir se réaliser ce qu’il nous avait promis.
Pourtant ce n’est pas toujours cela qui arrive et les privilégiés qui, ce jour-là, ont vu Jésus plein de lumière sur la Montagne seront aussi les témoins de sa prière douloureuse à Gethsémani et sur la Croix. Le visage rayonnant de lumière sera remplacé par la face ensanglantée du crucifié. C’est que la grâce reste un don et que nous ne la possédons pas. Nous ne pouvons même pas la photographier, comme ces touristes qui mitraillent de prises de vue le paysage ou le monument qu’ils sont venus visiter, préférant l’illusion d’ « avoir » dans leur smartphone le Parthénon ou la baie de Naples à la joie de les voir tout simplement !
On ne met pas la main sur la grâce, on ne la met pas en bocal pour la prochaine occasion. Elle continuera à nous surprendre. Et c’est cela son charme. Mais, pour qu’elle ne s’évanouisse pas dans nos esprits, nous avons la mémoire, qui est « présence du passé », comme dit saint Augustin. Je ne parle pas de la mémoire immédiate par laquelle un retient quelque temps une information qu’on oubliera aussi vite après en avoir fait usage. La mémoire spirituelle, elle, est une mémoire qui dure, qui fait partie de notre être, qui concourt à façonner notre rapport à la vie, aux autres, et même à Dieu. Ce que nous avons vu du passage de Dieu dans notre vie restera comme un socle pour tout ce que nous aurons à vivre.
Il faudra y faire appel dans les moments de difficulté. Le psalmiste au cœur de l’épreuve se redit :
Pourtant tu es saint, toi qui habites les hymnes d’Israël.
En toi nos pères ont espéré; ils espéraient et tu les délivrais.
Ils ont crié vers toi, et ils ont été sauvés; ils se sont confiés en toi, et ils n’ont pas été confondus (Ps 21 (22), 4-6).
Celui qui parle ainsi n’a pas été témoin direct des évènements de salut, mais il appartient à un peuple qui les a vus, il est porté par le témoignage de celui-ci, comme nous qui n’avons pas vu le tombeau vide de Jésus mais qui savons que c’est vrai parce que l’Église le dit. C’est ainsi que nous tiendrons, entre deux moments de grâce où le Seigneur nous donnera plus de lumière.
C’est comme cela en tout cas que les Apôtres ont pu tenir, eux aussi, en attendant la Résurrection.