Si ton frère vient à pécher
Le passage d’évangile qui nous est proposé ce dimanche fait partie d’un ensemble qu’on appelle quelquefois « discours communautaire », car Jésus y donne des principes qui valent pour la vie de relations au sein de l’Eglise.
Mais nous sommes devant une contradiction flagrante : le texte d’aujourd’hui indique la procédure à suivre en cas de comportement répréhensible de la part d’un membre de l’Eglise : explication en privé, puis dénonciation à la communauté et finalement, en cas de persévérance dans ce comportement, exclusion : « considère-le comme un païen (le texte dit : un samaritain) et un publicain ». Et voilà que, quatre versets plus loin, il nous est demandé de pardonner, si nous avons un différent avec un frère, non seulement sept fois, mais soixante-dix fois sept fois !
Comment tenir tout cela ensemble ?
Je crois d’abord que le péché qui est visé n’est pas tout à fait le même dans les deux passages. La précision « contre toi » du premier texte n’est pas dans tous les manuscrits et il me semble qu’on peut s‘en passer. On est là face à une faute repérable, publique, qui fait tort à la communauté chrétienne. La procédure indiquée va dans ce sens : on écarte le scandale en se désolidarisant d’un membre gangrené.
Dans le deuxième passage, il s’agit d’un mot ou d’une attitude qui a blessé la relation entre deux personnes. Comme souvent, les torts sont partagés mais personne ne veut faire le premier pas Eh bien ! À l’école de Jésus, il faut le faire quand même et même souvent, et même si cela coûte beaucoup. C’est là que le mot pardon convient le mieux. Demandé et reçu, Il est le remède de toutes les blessures de l’amour fraternel, conjugal et communautaire.
Mais pourquoi ne pas appliquer cela au niveau général et pourquoi ne pas croire au pardon possible dans les cas de comportements déviants, qu’ils déshonorent ou pas la communauté ? Pourquoi ? Mais parce qu’il ne s‘agit pas d’abord de sentiments et de relations personnelles. Le péché a là des conséquences sociales, dans le désordre qu’il introduit, dans le recul qu’il provoque chez les autres. Le pardon donné trop tôt ou trop vite n’arrangerait rien et donnerait même une fausse idée de la miséricorde, laissant croire à une impunité qui ne ferait rien avancer. Le mal a besoin d’être sanctionné, pour être identifié et en quelque sorte exorcisé. Ainsi se marque la réprobation de la communauté, qui prévient la répétition de semblables comportements. Après vient le temps de la guérison, qui peut être long (il y a eu longtemps des « pénitents » dans l’Église qui restaient un an ou plus dans cette situation…). Viendra ensuite le moment où le pécheur repenti pourra reprendre sa place dans la communauté et profiter du pardon.
Heureusement que l’autorité du Christ est là pour nous enseigner à ne pas confondre amour et faiblesse, sinon, comme beaucoup, nous opposerions la mansuétude évangélique à la rigueur de l’Eglise, alors que celle-ci ne fait au fond qu’appliquer, autant qu’il se peut, cette prudence surnaturelle.