Unifie mon cœur pour qu’il craigne ton nom
Ainsi s’exprime le psaume 85 (86) dans son verset 11.
Nous avons bien besoin d’être « unifiés ». La parabole racontée par Jésus dans l’évangile de ce dimanche nous en offre un exemple saisissant : soit un homme qu’on peut supposer intelligent, équilibré, qui vient d’avoir l’émotion de sa vie. A cause de ses dettes répétées, le roi pour qui il travaille a décidé de le vendre, lui, sa femme et ses enfants sur le marché des esclaves pour couvrir une partie de sa dette. Mais il a réussi in extremis à éviter cette fâcheuse issue, en suppliant le roi de lui faire grâce jusqu’à ce qu’il rembourse la somme due. Et le roi, contre toute attente, lui a remis sa dette en entier. Que d’émotions ! Mais maintenant tout va bien, il va pouvoir annoncer à sa femme tout à la fois le péril qu’ils ont couru et la façon inespérée dont ils en sont sortis.
Mais voilà que sur la route il croise un de ses collègues qui lui doit une somme misérable et cela réveille sa ire : « pourquoi les gens sont comme cela ? lui ne manque pourtant pas de revenus ! Il a même acheté un nouveau char ! il me promet toujours que ça va venir et je ne vois rien arriver ! Ce n’est pas pour la somme, mais pour lui apprendre à vivre… ! » et il le saisit à la gorge. On sait la suite.
Le mystère est là : comment peut-on être amnésique à ce point ? Chacun de nous pourrait pour son propre compte se souvenir de scènes analogues. Comme les Hébreux qui avaient traversé la Mer Rouge et vu la défaite des Egyptiens et qui ne parvenaient pas à croire que Dieu soit assez fort pour leur permettre d’occuper la Terre promise.
Si on essaie de comprendre pourquoi nous en arrivons là, nous voyons bien que la grâce qui nous a été faite, une fois reçue, nous parait presque normale, acquise, alors que le désagrément que nous ressentons du fait des autres nous paraît un tort énorme, disproportionné. N’ayant pas reconnu la grâce comme un cadeau de l’amour, nous restons au niveau de notre ego qui veut avoir toujours plus et réagit vigoureusement dès qu’on lui retire quelque chose. En fait notre vie avec le Christ ne fait pas le poids au moment où notre intérêt (ou ce que nous croyons tel) est en jeu. Nous n’arrivons pas à penser que, s’il nous a tant de donné, il nous accompagnera encore pour la suite. Nous vivons à deux étages, d’où ces incohérences.
Les saints sont ceux en qui il n’y a pas ce divorce: pour eux il n’y a pas d’un côté le ciel des idées et sur terre l’intérêt qui prédomine, le désir de Dieu les a soulevés tout entiers, ce n’est pas un idéal, c’est une vague de fond qui les emporte. « Pour moi, vivre, c’est le Christ ». C’est cela qu’il faut demander avec persévérance. Et quand nous percevons en nous l’incohérence d’un désir égoïste, essayer de la réduire au plus vite par un acte de foi dans la bonté prévenante de Dieu qui suffit à tout.