Dieu et les nations
Ce temps de malheur que fut pour les juifs la déportation à Babylone après la destruction de Jérusalem en 587 fut en réalité un temps d’approfondissement de leur foi et d’avancée dans la compréhension du dessein de Dieu. Dès le début sans doute, c.a.d. dès la sortie d’Égypte et l’expérience du Sinaï, l’unicité de Dieu était affirmée comme base de toute la religion d’Israël, mais les conséquences ne se sont pas tout de suite imposées. On pouvait croire qu’Israël avait son Dieu, YHWH, auquel il fallait être fidèle, mais que les autres peuples avaient le leur (au singulier ou au pluriel). Il a fallu le choc de l’exil, le transfert dans un pays étranger, pour mesurer que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob était le Dieu de toute la terre, qu’il n’y en avait pas d’autres et que par conséquent les dieux des nations étaient de faux dieux. Le prophète qui a rédigé la deuxième partie du livre d’Isaïe y a certes beaucoup contribué en montrant, dans des textes comme celui que nous lisons ce dimanche, que le Dieu saint d’Israël avait une politique planétaire, si on peut dire, et que le roi Cyrus, venu détruire l’empire des Chaldéens et libérer Israël, était à son service.
Comme nous l’avons déjà médité dans un écho pas très ancien, cet universalisme ne mène pas du tout à un relativisme religieux, où tout se vaudrait et où toutes les religions mèneraient également au même Dieu. Le Dieu unique est bien le Dieu d’Israël et lui seul a un projet cohérent, où Israël joue un rôle particulier.
Mais il reste à comprendre la conduite de Dieu sur les peuples païens qui ne le connaissent pas. Il est clair que la conquête de Cyrus a eu un effet bénéfique en ouvrant aux juifs la possibilité du retour à Jérusalem et aussi un espace relativement pacifié où des communautés israélites pourront s’implanter. C’est un peu la même chose qui arrivera avec l’Empire romain au temps du Christ : la création d’un espace unifié autour de la Méditerranée a grandement contribué à la diffusion du christianisme. Mais là, un élément nouveau apparaît, c’est l’ouverture du privilège d’Israël à tous les peuples après la Pentecôte. Tous les peuples seront invités les uns après les autres à rentrer dans l’Église, à devenir à leur tour le « Peuple de Dieu ».
Est-ce à dire que, pour Dieu, la perspective des nations (au pluriel) perdrait toute pertinence ? Cela irait assez bien dans le goût du jour où, sans doute par réaction à un nationalisme exacerbé qui a plongé l’Europe et le monde dans le chaos, on verrait assez bien les identités nationales se fondre dans un grand tout mondial. Mais il n’est pas sûr que cette perspective soit juste. L’appartenance nationale n’est certes pas tout, mais elle est un maillon essentiel dans la chaîne qui nous relie à l’universel, elle lui donne une figure, une couleur, un passé de vivre-ensemble, une culture séculaire. Et il n’y a pas lieu de penser que Dieu se désintéresse des nations, non qu’il fasse des préférences entre elles , mais en ce sens qu’il voit chacune comme la réalisation particulière de son dessein sur l’humanité. Le pape Jean-Paul II, issu d’un peuple qui avait longtemps perdu son indépendance nationale et ne survivait que par sa culture, a pu parler de façon juste des nations qu’il est venu visiter et dont il a salué la terre d’un baiser.
L’Écriture ne dit-elle pas : « Quand le Très-Haut dota les nations, quand il sépara les fils d’Adam, il fixa les frontières des peuples d’après le nombre des Fils de Dieu » (il s’agit des anges, dont chacun a reçu de Dieu la charge d’une nation) ?