Pas de fécondité sans foi
Il en sait quelque chose Abraham ! Âgé et sans enfant, il a accueilli la promesse insensée que Dieu lui faisait : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux, telle sera ta descendance ! ». Il le sait d‘autant mieux qu’il a failli perdre Isaac, l’enfant de la promesse, qu’un décret divin semblait promettre à une mort prochaine. Il faut bien voir que c’est la foi d’Abraham qui lui a permis à chaque fois de s’élever à la hauteur où Dieu voulait le mener. Donner la vie, c’est toujours un peu donner sa vie : se laisser mener au-delà de soi-même jusqu’à ce point où Dieu dépasse nos possibilités naturelles.
Il y a un psaume qui dit beaucoup de choses là-dessus, c’est le 126 (127) « En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur : Dieu comble son bien-aimé quand il dort. Des fils, voilà ce que donne le Seigneur, des enfants, la récompense qu’il accorde ». Ne nous laissons pas tromper par l’impression de facilité que le psalmiste semble attribuer à la génération des enfants : on sait tous qu’il ne suffit pas de dormir pour avoir la grâce d’une belle famille ! Mais le psalmiste compare l’activité technique (où le résultat dépend grosso modo de la somme de travail que l’on a accomplie) à la fécondité (où il n’y a aucune commune mesure). Regardez : pour certains couples, des mois et des années d’attente vaine et puis un jour une grossesse inespérée ! Pour d’autres, des efforts d’éducation patients mais sans grands résultats et puis soudain une personnalité droite et lumineuse qui s’affirme ! Nous sommes là avec un autre mode de développement, qui se rapproche beaucoup du risque qu’a pris Dieu en nous créant.
La génération humaine est déjà un acte de foi : confiance dans la conduite de Dieu qui permettra, malgré toutes les menaces qui pèsent, que cet enfant ait un avenir heureux, confiance dans le conjoint dont on espère qu’il aura les capacités d’un père ou d’une mère, confiance en soi, malgré les lacunes dont on est bien conscient et qui semblent hypothéquer l’avenir. Mais on comprend que ce qui est décisif, c’est justement d’être sorti de ses limites avec cette foi qui s‘accroche à la certitude que Dieu n’agit pas en vain et qu’il « donne » ce qu’il « ordonne ». C’est cette certitude qui nous fait tenir notre place dans le jeu et aller jusqu’au bout.
Dieu, en nous faisant partager la douce folie de l’amour, nous fait entreprendre des tas de choses que nous n’aurions pas prévues, pour sa gloire et pour le service de notre prochain. Ne nous dérobons pas. Il veut faire de nous des saints et des héros. Mais ça commencera par cette audace qui nous fait jeter le filet (« sur ta parole, je jetterai le filet » Luc 5,5), qui nous force à quitter les rivages tranquilles et mortifères de notre égoïsme.
Au jour où nous fêtons la Sainte Famille de Marie, Jésus et Joseph, nous ne recevons pas d’eux un message de tranquillité : naissance improbable à l’occasion d’un voyage, persécution qui s’abat sur Bethléem et oblige à fuir jusqu’en Egypte, retour dans la pauvreté, vie humble et soumise au travail quotidien etc. Et pourtant ! Quelle merveille ! Quelle douceur entre ces trois êtres d’exceptions ! Quelle foi !