Jonas et Jésus
En principe, dans tous les dimanches du Temps qu’on dit « ordinaire », les lectures de l’Ancien Testament sont choisies en fonction de l’évangile, celui-ci étant fourni par la lecture plus ou moins continue d’un des trois « synoptiques » (cette année celui de saint Marc). On a parfois un peu de mal à voir l’idée qui a présidé à ce rapprochement. C’est le cas de ce dimanche où la première lecture nous fait assister à la conversion inespérée des païens de Ninive par le prophète Jonas qui n’en croit pas ses yeux, tandis que l’évangile nous narre la rencontre par Jésus de ses premiers disciples. A part l’adverbe « aussitôt » qui dans les deux cas marque le succès de l’opération, on a un peu de mal à comparer la prédication de Jésus qui s’adresse à des hommes déjà travaillés par l’attente messianique et celle de Jonas qui s’opère en terre païenne avec une population en conflit séculaire avec les juifs. Les Ninivites ne vont pas suivre Jonas comme un maître mais pleurer leurs péchés et essayer d’y remédier, c’est déjà très beau, mais Jésus s’attachera Pierre, André, Jacques, Jean et pour la vie et pour la mort et en fera des saints. On peut dire que le point commun est l’efficacité prodigieuse de la Parole de Dieu qui fait des merveilles.
Mais, pour aller un peu plus loin, on peut réfléchir sur le rapprochement que Jésus lui-même a fait entre sa mission et celle de Jonas: « les hommes de Ninive se dresseront, au (jour du) jugement, avec cette génération et la feront condamner, car ils ont fait pénitence à la prédication de Jonas, et il y a ici plus que Jonas » (Matthieu 12,41). Là, l’accent est mis sur le rôle unique et principal du Christ, mais qui n’est pas reconnu immédiatement par tous. Jonas avait échappé à la noyade et avait passé trois jours dans le flanc du monstre marin, il avait provoqué la conversion d’un peuple idolâtre, mais qu’est-ce que cela à côté de la Résurrection de Jésus et l’annonce du salut au monde entier ?
L’œuvre du Christ est immensément plus vaste, mais elle est aussi plus cachée. Elle échappe au regard superficiel de ceux qui ne voient que les résultats tangibles et immédiats. Mais cette légèreté n’est pas sans conséquence, elle entraîne un jugement : de même que les Ninivites se lèveront pour condamner cette génération (celle qui a connu le Christ et n’a pas profité de son enseignement), de même la reine du Saba « se lèvera au (jour du) jugement, avec cette génération et la fera condamner, car elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon » (12,42).
L’ignorance n’est pas toujours une justification, on le voit. Et ce ne sont pas seulement les contemporains de Jésus qui sont ici visés. Aujourd’hui encore, il y a un aveuglement qui n’est pas innocent. Enterrer la question de Dieu, s’habituer au blasphème, bafouer les pauvres, souiller l’amour, tout cela laisse des traces. Oh puissions-nous, avec Jonas, avec Jésus, réveiller les âmes !