Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles
Les faiblesses auxquelles les lectures de ce dimanche nous rendent sensibles sont d’abord celles de la maladie : maladie inexplicable de Job, fièvre de la belle-mère de Pierre, cas de possession démoniaque, handicaps divers que Jésus rencontre à Capharnaüm. La condition humaine nous apparaît là dans toute sa réalité impitoyable. Ce n’est pas une humanité idéale que le Christ est venu rejoindre, mais notre chair humaine que blessent constamment le mal et la souffrance. Car, à côté de la maladie, il y a mille autres faiblesses que nous rencontrons : besoin de sommeil et de nourriture, atteintes du climat et aussi menaces venant des animaux ou de la part des autres hommes, sans parler des blessures du cœur. Toutes ces atteintes à son bien-être, le Christ les a connues et depuis son plus jeune âge, avec des plus et des moins selon les moments. Mais sans doute les a-t-il portées avec une sensibilité particulière, car, plus on aime, plus on ressent douloureusement l’injustice du monde.
Les paroles que l’Apôtre Paul énonce en parlant de lui-même (« avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles ») correspondent sans doute d’assez près aux sentiments de Jésus quand il est venu chez nous. C’est près de lui que Paul a appris à voir dans ses faiblesses non un handicap humiliant, mais un auxiliaire de son avancée vers Dieu et une ressource pour son apostolat.
Nous avons tous fait l’expérience que notre premier mouvement, quand nous nous sentons diminués par la souffrance ou l’incapacité, est de nous en désoler et de refuser d’avancer, comme si ces manques retiraient quelque chose à notre humanité et que nous devions être jugés sur nos performances. Nous nous sentons dépréciés par nos faiblesses, pourtant involontaires, bien plus que par nos péchés. S’y mêle parfois le sentiment de subir une injustice, comme si la vie devait toujours nous sourire et comme si Dieu était tenu de nous assurer la continuité de ses faveurs à l’identique.
La façon dont Jésus a partagé nos faiblesses est là-dessus éclairante : il n’a pas eu peur de commencer par un état d’enfance qui a limité grandement ses possibilités et remis à plus tard son influence sur ses contemporains, il a continué en faisant l’expérience de la souffrance physique jusqu’à la plus atroce, qui rendait extrêmement difficile le simple fait de parler, de se recueillir. Et pourtant, autant qu’il l’a pu, il a exprimé jusqu’au bout avec très peu de moyens son amour pour ses compagnons d’infortune, pour sa mère et jusqu’à ses bourreaux, il a aussi prié son Père sur la croix avec des lambeaux de psaumes et des cris déchirants. C’est ce que nous pouvons découvrir lorsque nous méditons sur les dernières paroles du Christ.
Tout cela n’est pas du spectacle, ni une leçon qu’il nous donnait. Si, malgré tout, il a « gagné les faibles par ses faiblesses » comme dit Paul, c’est en un sens bien plus profond : il a rejoint l’état où il nous est le plus difficile de faire confiance à Dieu et de nous ouvrir aux autres. Dans ce désert, il a fait couler une source. Et cette source, si nous la captons, c.a.d. si nous y faisons appel, nous aidera nous aussi à tenir bon quand arrivera pour nous l’heure mauvaise où éclate notre impuissance.
A bon entendeur salut !