Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé !
En ce quatrième dimanche de Carême, l’Eglise nous fait méditer sur une phrase étonnante de Jésus dans l’évangile selon saint Jean : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle ».
Curieux le rapprochement qui est fait ici entre la crucifixion de Christ et l’érection du serpent bronze par Moïse (en fait, c’est en le regardant que les Israélites pouvaient échapper aux morsures des serpents brûlants envoyés par Dieu pour les punir de leur sédition, cf. Nombres 21,8-9). Et pourtant on voit tout de suite qu’il s’agit dans les deux cas d’une guérison du cœur de l’homme blessé par le péché, guérison qui vient non pas d’un contact proprement dit, mais d’un regard aimant et contrit. Dans ce regard, on reconnait que celui qui souffre sur la croix a été, en un certain sens, crucifié par les hommes, par leur péché qui est une complicité avec le mal et l’oubli de sa bonté, de sa sagesse, c’est ce qui ressort du verset du prophète Zacharie cité dans un autre passage au moment où le garde perce avec sa lance le côté du Christ (Jean 19,37) : “Ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé”. Mais les Hébreux dans le désert se rappelaient aussi, en voyant le serpent d’airain, que c’était précisément des serpents qui avaient été envoyés pour les châtier de leur révolte. Ils étaient ainsi invités à voir la réalité en face et à se rappeler ce qui avait motivé leur malheur. Pas de rémission possible sans prise de conscience du mal qu’on a fait.
Ailleurs, Jésus lance cette fière déclaration : « moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jean 12,32). Si Jésus veut nous attirer à lui, c’est pour que nous ayons une rencontre avec lui, pour qu’il y ait un face-à-face entre nous, pour que nous puissions enfin le voir les dans les yeux en vérité. Et cette expérience n’est pas de tout repos. Quand les circonstances nous mettent soudain en contact avec quelqu’un que nous avons mal jugé, critiqué, ou pire encore, nous n’en menons pas large. Mais quand c’est quelqu’un qui a souffert à cause de nous, et si nous avons encore un peu d‘amitié pour lui, nous voudrions tout faire pour lui prouver notre amer regret et lui dire que nous sommes prêts à tout pour rattraper nos bêtises.
Plus que les mots, le regard est donc le moyen essentiel d’assurer le contact et de retrouver une relation vivante avec quelqu’un. L’Eglise n’a négligé aucun moyen de nous assurer un contact visuel avec le Christ. Si nous n’avons pas peur des images, c’est bien pour cela. Mais c’est surtout la présence eucharistique qui nous permet de jeter un long regard d’amour sur le Christ. Même si rien de ce que nous voyons n’évoque la réalité de l’homme Jésus, nous savons qu’il est là, bien caché sans doute, mais magnifiquement présent. Il y eut un temps où l’adoration du Saint Sacrement avait moins de succès qu’aujourd’hui. Ses détracteurs disaient : « Jésus n’a pas dit : prenez et regardez, mais prenez et mangez », conclusion : l’eucharistie est destinée à être mangée et non adorée. Mais ils oubliaient que, pour pouvoir profiter de la communion eucharistique, il faut connaître et aimer celui qui se donne à nous et quel meilleur moyen, pour cela, que de rester de longs moments les yeux fixés sur le don exquis qu’il nous fait de sa vraie chair née de la Vierge Marie ? Dans cette présence nous pouvons retrouver dans une joie toute neuve celui qui nous a cherchés dans notre égarement et qui nous ouvre toujours son Cœur.