Je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau
Je suis assez heureux de voir que telle est la nouvelle traduction qui nous est proposée. Pendant longtemps, nous avions : « je donne ma vie pour la reprendre », ce qui me laissait un peu mal à l’aise : on avait l’impression que le don de Jésus était avec un élastique et qu’en donnant un côté il était prêt à reprendre de l’autre. Or, il est bien clair, me semble-t-il, que Jésus, au moment il s’avance vers sa passion se donne sans retour et dépose devant son Père tout pouvoir sur l’avenir. S’il ressuscite ensuite, c’est la réponse du Père à son offrande, et il s’interdit de la provoquer. Il est totalement désarmé et impuissant devant la mort qui approche. Comment aurait-il pu dire sérieusement : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit », s’il gardait un atout dans sa poche qui lui permettrait de toute façon de s’en sortir ?
Je sais bien que lorsqu’il a annoncé sa passion (il l’a fait trois fois d’après les évangiles synoptiques), il a aussi annoncé sa résurrection « et le troisième jour, il [le Fils de l’Homme] ressuscitera ». Mais une chose est de savoir, autre chose est d’en être maître. Nous aussi, après tout, nous savons que nous ressusciterons un jour, mais cela n’empêche qu’au moment de mourir, nous serons totalement impuissants et remis aux mains de Dieu. Jésus a voulu connaître cet abandon, il a été confronté à une mort totale, si l’on peut dire, une mort au-delà de laquelle rien ne se dessine. Et c’est là qu’il a continué à s’offrir à son Père.
Toute ambiguïté vient en fait du verbe lambaneïn qu’emploie ici le grec et qui peut vouloir dire « prendre » ou « recevoir ». La nouvelle traduction a choisi la deuxième hypothèse, l’ancienne avait préféré la première. Notons au passage que le problème se pose aussi pour les paroles de l’institution de l’eucharistie, qu’on traduit généralement par « prenez-en tous », alors qu’on pourrait plus justement les rendre par « recevez-en tous », d’autant plus que le mot « prendre » a en français la nuance de « saisir avec les doigts », ce que le mot grec n’indique pas forcément. On a fait de cette phrase, bien à tort, un argument en faveur de la communion dans la main.
Mais revenons à Jean 10,17, dont il faut essayer de comprendre la portée dans cette nouvelle optique. Si on choisit la traduction actuelle, quel sens donner à « pour la recevoir à nouveau » ? Car il y a bien une finalité qui est indiquée. Voilà mon hypothèse : l’abandon du Fils va donner au Père l’occasion d’agir, elle va lui permettre de manifester son amour paternel. N’oublions pas le début de la phrase : « le Père m’aime parce que je donne ma vie ». C’est encore la gloire du Père que poursuit Jésus, en s’en remettant totalement à lui.