La vigne et les sarments
On l’a souvent dit, mais il faut sans doute le rappeler : les auteurs bibliques ne s’asservissent pas à des schémas préétablis, c’est ainsi que la parabole du cep et des sarments, telle qu’on la trouve au chapitre 15 de saint Jean, est d’une grande nouveauté et tranche avec le thème inauguré par Isaïe (5,1) : « mon bien-aimé avait une vigne, sur un coteau fertile ».
L’image de la vigne appliquée au Peuple élu est ancienne, on la trouve en effet dans les psaumes et chez les prophètes pour mettre en lumière l’ingratitude d’Israël : cette vigne qui a été l’objet de la part de Dieu de tous ses soins le déçoit profondément, car elle ne lui donne que des fruits amers, alors qu’il attendait autre chose de sa vigne chérie. Cette leçon n’est d’ailleurs pas oubliée dans les évangiles, mais, curieusement, Jésus la reporte sur le figuier (Luc 13,6-9), parabole qui résulte peut-être d’un fait concret qu’il a rencontré lui-même (Marc 11,13). La comparaison de la vigne est aussi sollicitée par la parabole des « vigneron homicides », mais dans un sens un peu différent, car là la déception ne vient pas du mauvais fruit qui pousse sur le cep, mais de la malhonnêteté des exploitants qui ne veulent pas payer leur fermage au propriétaire. L’image se déplace déjà : la vigne n’est pas en cause, elle donne toujours du fruit, ce qui ne va pas, c’est l’attitude des vignerons à l’égard du propriétaire.
La nouveauté de la parabole rapportée par saint Jean s’opère au prix d’un nouveau déplacement : ce qui est en jeu, c’est le rapport des sarments à la vigne. La réussite globale est garantie, mais il y en a qui n’en profiteront pas, qui seront même écartés, brûlés au feu : ceux qui ne se seront insuffisamment attachés au cep. La vision est donc beaucoup plus optimiste que ce qu’on lit dans Isaïe (5,6) : « j’en ferai un désert; et elle ne sera plus taillée, ni cultivée; les ronces et les épines y croîtront », mais l’exigence est toujours aussi forte : « séparés de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jean 15,5).
Que nous demande réellement cette parabole ? De ne pas présumer de nos forces, de ne pas croire que la sainteté est seulement un exercice d’athlétisme. La condition, la principale, c’est d’adhérer au Christ par la foi et les sacrements, de vivre de sa vie et de la vivre à son rythme, comme par exemple dans la liturgie. La sainteté n’est pas un idéal lointain, elle s’est trouvée réalisée un jour, celui de notre baptême et sans doute bien d’autres fois depuis, sans que nous en ayons toujours eu conscience. Nous n’avons pas chaque jour à tout recommencer à zéro, car chaque absolution a réactualisé tout ce que nous avions déjà réussi avec la grâce de Dieu.
La vision que nous donne la parabole johannique est centrée sur le présent : l’attachement du cep au sarment est de tous les instants. Demain sera beau, s’il correspond à ce que nous expérimentons aujourd’hui. Livrons-nous donc aux mains bienfaisantes du propriétaire de la vigne : « tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage ».