Je me consacre pour qu’ils soient consacrés
On n’a pas toujours le même bonheur avec les nouvelles traductions. Cette fois-ci, on est un peu gêné quand nous entendons celle qui figure dans le lectionnaire de ce dimanche : « Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. »
Le terme grec qu’on peut rendre par « sanctifier » peut aussi se traduire, dans d’autres contextes, par « consacrer » et même par « sacrifier ». Quand Jésus déclare qu’il s’offre lui-même pour ses disciples, ce n’est pas « sanctifier » qui convient (pourrait-il l’être plus ?), mais un mot qui indiquerait son sacrifice sanglant. L’ancienne traduction qui parlait de « consacrer » n’était donc pas si loin de la réalité.
Classiquement on dit que la consécration dans la Bible a trois sens :
1) Mettre à part (un lieu, un objet une personne) pour le culte du Dieu vivant,
2) Immoler (physiquement ou moralement),
3) Envahir de la présence et de l’action de Dieu.
Ces trois sens sont liés ensemble : toute consécration, tout don de soi au Seigneur suppose un arrachement et souvent une mise à part, à défaut d’une mise à mort. Le but, bien sûr, n’est pas la mort, mais une vie toute en Dieu, une vie parfaitement ajustée à la sienne, une vie d’amoureux avec lui. C’est ce que désirent ceux et celles que nous appelons des consacrés, mais que nous devrions tous désirer, en étant prêts aux sacrifices que cela impliquerait.
J’ai appris de mon maître, le Père André Feuillet, sulpicien qui enseignait le Nouveau Testament à l’Institut catholique, que quand Jésus dit « je me consacre pour qu’ils soient consacrés », la consécration qu’il assumait était « victimale », c.a.d. qu’il s’offrait par avance aux épreuves de sa passion, le but, c’était que ses disciples soient eux aussi consacrés, mais en un sens, cette fois-ci, sacramentel, c.a.d. qu’ils soient d’abord mis à part, mais aussi marqués par Dieu en profondeur, comme ses « oints », eux qui vont pouvoir, en son nom, guérir les corps et les âmes.
Il est certain qu’avec la traduction actuelle, tout cela disparait et qu’il n’y a plus qu’une action spirituelle du Christ au profit de ses apôtres, action tout à fait nécessaire, mais qui reste au plan moral, sans marquer la chair.
Ne perdons pas tout ce que le mot de « consécration » a de fort, il s’agit de s’engager avec Dieu et de le laisser marquer nos vies. Avec le baptême, nous ne sommes pas rentrés dans une aventure sympathique qui nous demanderait seulement un effort moral, il s’agit de s’inscrire profondément dans le sillage de la Passion, c.a.d. de la vie qui jaillit d’une mort acceptée par amour. Ne nous étonnons pas qu’elle nous mette à part, même si nous aimons tout le monde. Ne doutons pas de la fécondité de cette vie donnée, qui fera se lever des hommes et des femmes qui n’auront pas honte de se ranger à côté des disciples de l’Agneau.