Le signe et la réalité
Ce dimanche de la Fête du Saint Sacrement nous provoque à une réflexion en profondeur sur ce don extrême que le Christ nous a fait en nous partageant son Corps et son Sang.
On a beaucoup interprété, dans les années passées, les sacrements, à commencer par l’eucharistie, comme s’ils étaient d’abord des « signes » qui nous feraient comprendre quelque chose (l’amour de Dieu pour nous, la fraternité qui nous unit etc.). Mais si les sacrements n’étaient qu’une catéchèse en images, le seul changement qu’on pourrait en attendre serait de l’ordre de la compréhension et, dans ce cas, une bonne explication ferait aussi bien. On comprend pourquoi les messes sont souvent l’occasion de commentaires à n’en plus finir, parce que le « signe » risque de passer inaperçu, et alors on le double par un discours explicatif.
Certains diront : oui, mais les sacrements ne sont pas des gestes magiques, c’est une rencontre entre l’homme et Dieu et Dieu nous traite comme des êtres doués de raison, il nous rend conscients ce qu’il est en train d‘opérer en nous, il nous explique sa pédagogie, c’est pourquoi il y a des lectures de la Parole de Dieu, des prières qui développent tel ou tel aspect du rite. Fort bien. Mais nous aurions intérêt à lire tout cela avant d’arriver à l’Eglise pour nous en pénétrer avant la célébration, car il est rare qu’on capte grand-chose quand on l’écoute pour la première fois, mais quand nous arrivons au moment de la célébration, ce qui nous est demandé, c’est de nous laisser faire par le don de Dieu: avant de préjuger de ce que nous avons à en attendre, il faut nous laisser dépasser par son initiative à lui qui agit.
Ceci est particulièrement net pour l’eucharistie. Celle-ci se reçoit apparemment comme toute autre nourriture, où l’on réduit à soi ce qu’on absorbe. On pourrait donc penser que c’est simplement une façon de nous fortifier, de nous aider à atteindre le but que nous poursuivons en étant fidèles à Dieu. Mais c’est un peu l’inverse qui s’opère : le Corps et Sang du Christ nous assimilent à lui. Nous ne sommes pas les maîtres du jeu : dans l’accueil que nous faisons de sa présence, nous rendons les armes à une initiative qui nous dépasse et dont nous ne sommes pas la mesure. L’eucharistie, sacrement de l’amour, certes, mais de quel amour parlons-nous ? Savons-nous seulement ce que c’est que d’aimer, avant qu’il nous l’apprenne ? Ecoutons bien ce qu’il dit : « Ceci est mon corps ! », non pas une preuve d’amour, un signe encourageant, mais l’Amour même qui se donne, son corps, vraiment là, livré, jusque dans l’apparence d’une chose, alors qu’il est tout entier don, jaillissement, vie débordante !
Les Pères de l’Église aimaient mieux expliquer aux néophytes, après la cérémonie de leur baptême et de leur confirmation, ce qui s’était passé à ce moment-là, plutôt que de leur décrire par avance ce qui allait arriver. Comment expliquer le mystère, si on n’est pas rentré au dedans ? Comment comprendre, si on ne s‘est pas laissé faire par Dieu ?
La Fête du Saint Sacrement ne fait pas de l’hostie sainte qu’on expose et qu’on promène dans la rue un signe ou un drapeau, elle met devant nos yeux un défi : voir avec les yeux de la foi ce qui n’a ni forme, ni figure, mais qui est Lui tout entier, simplement donné.