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Les deux Adam
Saint Paul est revenu deux fois sur le parallèle qu’il aime faire entre le Christ et Adam. Le plus connu est celui qui figure dans le chapitre 5 de l’épitre aux Romains, cette page vertigineuse où il compare le péché des origines avec la grâce qui justifie : tous deux se sont introduits dans la condition humaine par « un seul », mais avec des conséquences totalement différentes. Ce dimanche, nous avons un autre passage, cette fois-ci dans la première épitre aux Corinthiens, et là il nous explique la complexité de l’aventure humaine par l’existence de deux solidarités qui se partagent notre être en ce monde : celle avec le premier Adam « pétri d’argile », celle avec « le deuxième homme », le Christ, qui, lui, « vient du ciel ». Or nous appartenons aux deux. Par un côté nous sommes donc terreux, par un autre nous sommes destinés au ciel et nous avons déjà un contact avec lui.
Mais il ne s’agit pas seulement là de nous mettre devant un constat, finalement banal, celui de notre existence partagée entre l’aspiration vers en-haut et une pesanteur inévitable. S’il y a un constat, celui-ci doit conduire à une dynamique. Notre relation avec le nouvel Adam qui est le Christ est survenue dans notre vie avec l’appel à la foi et le baptême que nous avons reçu et elle est destinée à prendre le dessus, sans pouvoir pour autant nous arracher tout de suite à la première solidarité qui nous relie à nos origines adamiques. Tant que nous serons en vie sur cette terre, il nous faudra donc subir le combat que se livrent la grâce et notre nature pécheresse. Mais on peut espérer que le lien qui nous lie au péché des origines sera de moins en moins contraignant sous l’effet de la grâce qui fortifie peu à peu notre volonté, à mesure que nous échappons à l’emprise du Démon.
La grâce n’agit pas, le plus souvent, par un attrait irrésistible qui nous porterait comme malgré nous vers le Bien. Et il faut bien prévenir les catéchumènes que le renouveau qu’ils vont connaître est d’abord dans la foi : un attachement fort et personnel à Jésus, le désir de lui montrer leur amour, de lui plaire en tout. C’est ainsi que l’Esprit Saint viendra souffler doucement sur ces braises et préparera l’incendie. L’exercice d’une liberté toute neuve amènera les hommes peut-être à faire l’expérience d’une plus grande constance dans leurs choix de vie. S’ils persévèrent, ils verront que des liens sont tombés. Et c’est déjà très beau.
« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant », disait saint Irénée. Là où Adam est tombé très vite dans l’enfermement en lui-même, l’autojustification, la répétition forcenée des mêmes erreurs (« ce n’est pas moi, c’est elle ! »), l’homme sauvé par la grâce découvre la souplesse, la possibilité de pardonner et se faire pardonner. L’enfer dans lequel Satan veut conduire l’homme est l’état de celui qui ne peut plus bouger, parce qu’il a consenti à la lente dégradation de sa liberté. En enfer les flammes elles-mêmes sont gelées.