La joie de Jean
Sans attendre le 3e dimanche de l’Avent (dit de Gaudete), l’Église nous parle de joie. L’antienne d’ouverture (là encore un bon guide) nous fait entendre cette belle promesse : « le Seigneur fera retentir sa parole pour la joie de votre cœur ». De quelle joie s’agit-il ?
La venue de Jean, que nous surnommons le Baptiste, coïncide avec la reprise de la parole prophétique, laquelle s’était bel et bien tarie depuis le retour de l’Exil à Babylone (on fait remonter l’évènement à Zacharie fils de Barachie au 5e siècle, mais d’un autre côté c’est Malachie son contemporain qui clôture le livre des prophètes). L’évangéliste saint Marc avec une solennité particulière signale cette prise de parole au début de son Evangile : « Il était écrit dans le livre du prophète Isaïe : voici que j’envoie mon messager devant toi, pour préparer ta route. À travers le désert, une voix crie : “Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route”. Et Jean le Baptiste parut dans le désert… ». C’est une immense joie, car le silence de la prophétie avait signifié pour Israël un réel abandon. Sans doute l’inspiration était-elle passée par d’autres voies : les sages qui composèrent divers recueils que nous continuons de lire et de méditer, les chantres auxquels nous devons un bon nombre de nos psaumes, etc.. Mais ce n’était pas pareil, il n’y avait pas cette fraîcheur de l’appel prophétique, cette irruption de Dieu dans les affaires humaines, qu’il vient d’un coup éclairer d’en haut. Alors « jusques à quand ? », demandaient les Israélites pieux (cf. Ps 73,9 : nos signes, nul ne les voit ; il n’y a plus de prophètes ! Et pour combien de temps ? Nul d’entre nous ne le sait !).
Or voici que soudain, avec Jean, quelque chose commence comme un nouveau départ. Déjà sa naissance avait mis sur les lèvres de son père (lui aussi appelé Zacharie !) comme un souffle prophétique : « et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très Haut ! ». Mais, cette fois-ci, c’est un homme qui ne se contente pas de dire des mots que Dieu lui inspire, c’est un messager travaillé de l’intérieur par la Parole, tout entier consacré (jusque dans son habillement et sa vie solitaire) à sa mission. Quelle vaste source de joie !
Qu’est-ce que cela veut dire pour nous ? Nous avons certes la parole de Jésus, nous avons surtout la Parole qu’est Jésus. Pour nous, à travers l’Incarnation du Fils de Dieu, s’est réalisée la demande que formulait le premier dimanche de l’Avent : « Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! ». Mais, à force de le savoir, nous finissons par ne plus nous rendre compte que nous avons là le moyen d’une communication toute neuve qui ne demande qu’à servir : le ciel est ouvert et Dieu nous parle à nouveau. C’est tout l’intérêt de ce temps de l’Avent de nous remettre sur le chemin de nos Pères et de nous faire désirer à nouveau ce que déjà, secrètement, nous avons.
Si le ciel est ouvert, si Dieu nous parle, il faut prendre le temps de l’écouter. Saint Jean est allé au désert pour cela, il ne nous sera peut-être pas demandé exactement la même chose qu’à lui, mais il serait bon que nous fassions de ce temps l’occasion d’une intimité retrouvée avec la Parole. Après, nous aurons peut-être à l’annoncer, à la porter devant le monde incroyant qui nous entoure, mais ce sera avec cette joie profonde (qui est encore celle de Jean) de s’effacer devant elle, de la laisser prendre toute la place, acceptant d’être oublié et méconnu. Vous vous souvenez ? Celui qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’écoute, est ravi de joie à la voix de l’Époux. Or cette joie qui est la mienne, elle est pleinement réalisée. Il faut qu’il croisse et que je diminue. (Jean 3,29-30).