Le Baptême et la Théophanie
Il y a deux scènes, en réalité, dans ce que nous appelons le Baptême du Christ. L’une sur laquelle on passe rapidement, comme si l’on voulait ne pas trop s’y arrêter : le geste fou de Jésus qui se présente sans crier gare au Baptême de Jean. L’autre qui suit et où nous voyons Jésus reconnu par le Père et l’Esprit, ce qu’on appelle souvent la Théophanie, c.a.d. l’apparition de Dieu, de Dieu-Trinité en l’occurrence.
Le lien de ces deux scènes est assez évident : dans le geste d’abaissement du Christ qui se rend solidaire des hommes pécheurs, lui le sans-péché, le Père reconnaît pleinement son Fils : « le Père m’aime parce que je donne ma vie » dira un jour Jésus (Jean 10,17). Le Père reconnaît en lui la connivence qui règne entre eux, cet amour incompréhensible pour l’homme qu’ils partagent, il voit l’obéissance de son Fils qui prend la dernière place et inverse ainsi la logique du péché, qui est appropriation pour soi des dons de Dieu, volonté se mettre en avant en prenant la place des autres, affirmation de soi…
En ce sens, le récit du Baptême est un formidable frontispice à tout l’évangile qui culmine dans le mystère pascal. Il nous montre par avance la Croix qui débouchera dans la gloire au matin de Pâques.
Mais, s’il nous aide à concevoir ce qui se passera sur la Croix et dans la Résurrection, le Baptême n’est pas l’avènement du salut. Pourquoi ? Parce qu’il ne suffit pas d’un bon exemple s’opposant à la tendance pécheresse de l’humanité pour compenser celle-ci et la faire disparaître. Le Christ n’est pas seulement le modèle qu’il faudrait imiter pour retrouver la bonne voie. C’est l’erreur de tous ceux qui ont vu en lui un héros de moralité. Il l’est certes, et en un point extrême, mais cela ne suffit à changer la tendance universelle de l’humanité, le bois est trop tordu dans le mauvais sens pour qu’il suffise d’une tension dans l’autre sens pour le redresser.
C’est pourquoi la Rédemption est un élément qui touche le fondement même notre humanité. Le dard du péché est si profondément enfoncé dans la chair de l’homme qu’il va falloir aller l’arracher jusque dans la Mort. Il faudra que celle-ci engloutisse le Christ, pour qu’il parvienne à atteindre ce point mystérieux où le Démon tient captive l’humanité. Et là tout bascule.
Le Baptême ne nous dit donc pas tout, mais il nous aide à entrer dans la compréhension du dessein sauveur de Dieu. N’oublions pas que la Théophanie est suivie immédiatement du récit des tentations au désert qui sont un match formidable, d’où le démon sort KO. Mais ceci n’est encore qu’une péripétie : « ayant ainsi épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de lui jusqu’au moment favorable » (Luc 4,13). Et là, tout se joue…