Premier né
La deuxième lecture de la messe de dimanche nous fait entendre l’hymne au Christ que nous donne saint Paul au début de son Épître aux Colossiens. Ce texte prodigieux a fait couler beaucoup d’encre. Si vous avez la curiosité de regarder comment il est traduit dans la Bible des Témoins de Jéhovah vous aurez une surprise, tout est aplati pour faire du Christ une première créature dont dépendrait ensuite toutes les autres. Avec l’addition d’un mot qui n’est pas dans le texte (« autres »), on ramène le Premier-Né à notre niveau. Avec cela, il serait peut-être au commencement, mais il ne serait pas le principe, il serait dans la série, comme un simple prototype de fabrication. Il est vrai que notre traduction liturgique (« premier né avant toute créature ») force un peu la note dans l’autre sens, le texte dit simplement : « premier-né de toute créature », c.a.d. par rapport à toute créature, ce qui se comprend comme une référence au texte du livre des Proverbes (chapitre 8) qui parle de la Sagesse comme prémice des œuvres du Seigneur. Le « premier-né », pour les Hébreux, n’est pas seulement le premier dans l’ordre chronologique, il jouit d’une primauté unique, c’est lui qui a ouvert le sein maternel, il est l’héritier naturel.
Pour éviter toute confusion, saint Paul précise bien que c’est « en lui » et « pour lui » que tout a été créé, et pas seulement sur terre, mais encore au ciel. Si les anges eux-mêmes sont créés en lui et pour lui, c’est qu’il les dépasse. Et puis la création dans la Bible, ce n’est pas une simple production, c’est le passage radical du non-être à l’être. Dieu ne crée donc pas en faisant appel aux bons soins du Christ, comme un artisan prendrait un auxiliaire, il crée dans le Fils, c.a.d. à partir de son être même de Père. C’est dans la relation éternelle qu’il a avec lui – relation d’amour partagé – qu’il conçoit un autre vis-vis qui sera sa créature humaine. Mais il y a là, avec la création, un saut absolu, une différence non de degré mais de nature. Le Fils lui est engendré et non créé, et nous notre relation avec le Père est d’être des fils, mais des fils adoptifs. C’est pour cela qu’il pourra restaurer le plan premier de Dieu sur l’homme.
Croire à la divinité du Fils, croire à son égalité avec le Père, croire en la Trinité sainte, c’est donc tout le contraire de mettre la main sur Dieu, de se l’imaginer sur le modèle de l’homme. C’est découvrir en Dieu une richesse insoupçonnée qui dépasse nos raisonnements trop courts, c’est entrer dans une surabondance de don, dont nous ne sommes pas la mesure. Dieu n’est pas l’autocrate solitaire qui surplomberait ce monde, il a en lui-même un amour qui jaillit et déborde en volonté d’associer d’autres êtres à son bonheur.
Redisons avec le Credo : « Dieu né de Dieu, lumière née de la Lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père et par lui tout a été fait ».