Aimer Dieu pour aimer les autres
En ce deuxième dimanche de Pâques de l’année B, qui est aussi le dimanche de la Miséricorde, nous trouvons comme épître le passage de la première lettre de saint Jean où il nous est dit : « Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements ». Surprise ! Nous connaissons surtout le verset qui se trouve un peu plus haut dans la même lettre (4,20) et qu’on nous a si souvent jeté à la tête : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas ». Or voilà que l’Apôtre Jean renverse les priorités : pas d’amour des autres sans amour de Dieu !
C’est ainsi. Nous apprenons de cette façon que, devant notre peu d’amour, il faut prendre le problème par les deux bouts, sans nous excuser de nos défaillances dans un domaine sous prétexte de nos pauvres réalisations dans l’autre. Et c’est quand même bien vrai que l’amour des autres, pour dépasser le plan de la simple bienfaisance humanitaire a besoin de notre foi et de notre amour de Dieu. Non seulement comme une puissante motivation (il est quand même difficile de faire la sourde oreille devant le malheur des autres, si on a commencé à fréquenter Jésus), mais aussi et surtout comme la révélation de ce qu’est l’amour en vérité.
Car notre époque qui emploie beaucoup le mot d’amour en a perdu en partie le sens, jusqu’à le ramener à un simple attachement sentimental (quand ce n’est pas à la satisfaction de l’instinct sexuel). Aimer nos frères en humanité est chose infiniment sérieuse, si nous voulons partir de ce que le Christ nous a montré : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Aimer, c’est vouloir de tout son être le bonheur de l’autre. Pour cela il faut que nous reconnaissions d’abord la grandeur de la condition humaine qui nous est commune, malgré les différences infinies qui la traversent, et même malgré les disgrâces qui la frappent (âge, maladie, folie – et le péché surtout qui la défigure). Nous pouvons apprécier la compagnie de certains animaux, ils seront peut-être plus reconnaissants, plus dociles, mieux dressés que certains rejetons de la race humaine, mais nos relations avec eux ne seront jamais de l’amour. Celui-ci suppose une ouverture sur l’infini : nos frères et nos sœurs sont des compagnons d’éternité, parce qu’ils ont reçu comme nous un appel à se donner librement à Celui qui est l’Amour même. C’est ce qui fait le prix immense de notre charité entre nous, qui est à l’image de celle de Dieu à notre égard et, plus profondément encore, celle qui unit les personnes divines entre elles : « comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ». En faisant une place en nous pour accueillir l’autre dans sa beauté et sa fragilité, nous entrons dans une dépossession qui fait la joie éternelle de la Trinité, là où nous ne sommes plus mesurés par l’avoir, mais où nous sommes l’un pour l’autre.
Aimer Dieu, c’est prendre au sérieux peu à peu ses manières de faire, son mode d’être, c’est adopter ses mœurs. Les commandements dont parle saint Jean ne sont pas autre chose. Lorsque nous aurons beaucoup essayé, lorsque nous aurons corrigé ce qui doit l’être, nous pourrons tourner vers nos frères un visage pacifié et rempli d’espérance.