Jésus en quarantaine sanitaire
Je ne parle pas de la quarantaine qui a donné son nom à notre carême, les quarante jours que le Christ a passé au désert de Judée au début de sa vie publique et que nous évoquerons avec l’évangile de dimanche prochain (1er dimanche de Carême, eh oui ! déjà !). Non, je fais ici allusion à un épisode postérieur raconté dans l’évangile de ce 6e dimanche du Temps ordinaire : Jésus a guéri un lépreux, c.a.d. un intouchable, et pour cela il l’a touché ! Sans que ce soit dit clairement, on a l’impression que le Maître galiléen se retire et vit quelque temps dans la solitude pour se mettre dans la situation du lépreux, qui ne devait pas se montrer en public, tant que sa guérison n’était pas constatée. Comme si Jésus prenait le handicap de cet homme, non pas la maladie elle-même mais ses conséquences.
Ce qui complique les choses, c’est qu’une deuxième raison est donnée à ce retrait : le Christ cherche à éviter le contact des foules, car le succès qu’il rencontre, surtout depuis cette guérison, est tel qu’il a peur de devenir prisonnier de l’enthousiasme populaire. Ceci est sans doute vrai et on voit cette précaution à d’autres moments. Mais, en l’occurrence, la notation furtive d’une mesure sanitaire mérite d’être prise en considération.
On a dans cet épisode comme une sorte d’échange qui s’opère : Jésus troque sa situation avec le lépreux, comme le fera plus tard saint François en prenant l’habit du pauvre. Mais, comme avec François, l’échange va dans les deux sens : en lui donnant son rejet le lépreux se « revêt » du Christ, puisque, au lieu de sa terrible maladie, il reçoit la surabondance de vie qui habite celui-ci. C’est une sorte de contagion inverse qui prend le lépreux et lui communique la santé. Ainsi la maladie recule jusqu’à disparaître, les chairs pourries refleurissent !
Bien sûr, tout cela se comprend comme une image de la Rédemption que le Christ vient accomplir chez nous : pour que sa santé à lui envahisse la chair humaine rongée par le péché, il faut d’abord le contact. Si répugnante que soit devenue la chair humaine, le Fils n’a pas eu peur de s’en revêtir, de la prendre réellement sur lui. Un Père de l’Eglise a même écrit que le Christ a épousé l’humanité en état de cadavre ! Ce n’est qu’à ce prix que le renouveau peut nous atteindre : cette vie qui brûle au cœur de Jésus, il nous la communique à la faveur de ce contact.
Mais on dira peut-être que la Rédemption, c’est quand même autre chose qu’un tour de passe-passe. Si Dieu nous a créés sans notre consentement, la Rédemption ne nous arrive pas sans une certaine participation de notre part. Mais cela aussi, on le trouve dans notre récit d’aujourd’hui. Car ce contact avec Jésus a demandé beaucoup de choses au lépreux : la foi confiante en la puissance du Christ, l’audace de lui demander d’intervenir, l’acceptation de se laisser toucher, alors qu’on lui a appris à éviter tout contact avec les gens en bonne santé. N’est-ce pas là aussi ce que nous avons à faire pour nous laisser guérir par le Christ ?