Le Saint Sacrifice
On enseigne généralement que trois mystères sont en jeu dans l’eucharistie : la présence, le sacrifice et la communion. En effet Jésus se rend présent dans l’hostie et le calice, il s’offre ainsi en sacrifice à son Père, il se donne enfin à nous dans la communion, trois étapes d’un même don, mais qui ont chacune une physionomie propre. Si la conscience que Jésus est présent au Saint Sacrement est revenue heureusement sur devant de la scène, si la communion est pour tous le sommet de la participation à la messe, le deuxième élément (le sacrifice) est bien absent de l’esprit de beaucoup de ceux qui participent à la messe, me semble-t-il. Pourtant…
Pourtant le second a été longtemps tenu pour le plus important : ne disait-on pas jusqu’à une date récente : « je vais assister au saint sacrifice [de la messe] » ? L’objection est venue de ceux qui prétendaient que la messe n’est pas le sacrifice du Christ, elle en serait plutôt le signe, le « mémorial ». Ils ajoutaient : « vous n’allez pas me faire croire que le prêtre va immoler Jésus sur l’autel ! ». Les plus savants citaient le passage de l’Epitre aux Hébreux (7,27) où il est dit du Christ qu’ « il n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple, – car ceci, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même ». Beaucoup en tiraient la conclusion : il n’y a eu qu’un seul vrai sacrifice, celui du Calvaire, la messe n’est donc là que pour nous le rappeler. Eh bien non ! Le mémorial dont il s’agit n’est pas comme le monument aux morts qui nous évoque le sacrifice de ceux qui sont tombés au champ d’honneur. Déjà dans le judaïsme, le mémorial de la Pâque faisait plus que de rappeler la sortie d’Egypte, il avait mission d’obtenir à nouveau pour le Peuple de Dieu la libération définitive. Jésus s’inscrit dans cette logique : le geste qu’il instaure et dont il prévoit la répétition (« faites ceci en mémoire de moi ») renouvellera l’acte qu’il est en train d’accomplir, non seulement dans ses effets, mais dans l’offrande de lui-même qu’il est en train de présenter à son Père. En un certain sens, ce n’est pas l’offrande qui se répète, c’est nous qui devenons contemporains de l’évènement.
Mettre au centre le sacrifice, c’est aussi mieux comprendre la présence réelle, car seul le don incandescent qui s’opère sur l’autel peut provoquer cette lave en fusion qui vient se répandre jusqu’à nous, ce pain qui n’est plus du pain, mais qui est sa chair. Le corps de Jésus n’est plus seulement limité comme le nôtre à un point du temps et de l’espace, il s’étend dans la chaleur de l’amour à travers les siècles et les continents, jusqu’à nous. Et la communion devient le moyen normal, presque évident, par lequel ce don pénètre en nous, devient plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes !
Ne manquons pas de nous unir, à chaque messe, au sacrifice de Jésus, réjouissons-nous d’être conviés au pied de la Croix, pour assister et participer au grand acte par lequel il offre sa vie à son Père. Et par lequel nous sommes divinisés !