Unité et Trinité
Nous sommes passés en moins d’un siècle du rêve de l’unité au culte de la diversité. Les grandes disciplines collectives du 20e siècle étaient imposées au nom de l’unité : ein Volk, ein Reich, ein Führer (un Peuple, un Etat, un Guide) lisait-on à Berlin sous le portrait d’Adolf Hitler, mais ailleurs d’autres idoles étaient forgées à l’Ouest comme à l’Est : la Culture, la Civilisation, la Science, la Raison, ces abstractions flamboyantes broyaient sur leur passage tout ce qui n’entrait pas dans leur modèle. Est venu le temps où on s’est lassé de l’unité (devenue, il est vrai, plus oppressive encore avec la mondialisation) et où on est passé au pluriel : les sensibilités, les modèles culturels, les orientations sexuelles, les valeurs etc… La géométrie euclidienne a perdu son exclusivité. La grammaire, jugée fasciste par Roland Barthes, est devenue matière à option. Il n’y a plus la vérité (oh horreur !) mais des vérités variables, successives et surtout non exclusives. On n’est pas loin de penser que l’humanité elle-même est plurielle et, sur les ruines du monogénisme biblique, s’édifie une vision éclatée de l’aventure humaine qui ne distingue plus vraiment le bipède rationnel de l’animalité.
Ce désastre ne fait que mieux ressortir la richesse que nous donne la foi chrétienne. Oui, nous croyons en un seul Dieu. Et cette unité, loin d’être étouffante et despotique, nous libère, car elle nous défend de l’oppression qu’exercent sur nous les puissances de la chair et du sang : toutes ces adhérences qui nous lient à la terre, à nos origines psychiques, ethniques, sociales et qui prétendent s’imposer à nous. C’était cela le paganisme, ne l’idéalisons pas : la fureur du sexe, celle des cultes dionysiaques, la vengeance inexpiable, l’irrationnel érigé en absolu, l’écrasement des pauvres et des faibles. Seul Dieu est assez grand et assez fort pour démystifier les absolus de pacotille et révéler la triste domination de l’ego. Il est aussi le seul à nous aimer assez pour ne se dégoûter d’aucune de nos folies et venir nous rejoindre en son Fils partout où nous gisons sur le bord de la route.
Mais si cette unité peut être si haute et si souveraine, c’est parce qu’elle n’est pas celle d’un individu perdu quelque part dans les cieux. Elle ne surplombe pas le monde, elle l’a créé, c.a.d. qu’elle l’a voulu librement, issu d’elle mais différente. Elle n’est pas dépendante de lui, parce qu’elle trouve en elle-même toute sa vie et tout son bonheur, Bref qu’elle est jeu de relations, de don et de réception et pour tout dire : amour.
Quand Jésus nous parle de son lien éternel avec le Père et le Saint Esprit, nous entrevoyons ce que peut être la vie de Dieu, la vie en Dieu, la vie qu’est Dieu. Ce n’est pas une théorie, la Trinité n’est pas la conclusion d’un raisonnement, c‘est l’inouï qui s’offre à nous. Il nous dépasse mais en même temps nous éclaire, nous comprenons que nous avons raison d’aspirer à l’unité en nous, entre nous et avec Dieu. Mais pas n’importe quelle unité : chaque personne y est appelée à jouer sa partie jusqu’au bout. Pour être elle-même, elle s’ajuste à l’ensemble et contribue à la symphonie. Et elle y apportera ce qu’elle a d’unique et d’irremplaçable.
Adorons et vénérons la Sainte et Indivisible Trinité du Père, du Fils et de l’Esprit, leur unique nature leur égale majesté, mais en même temps l’insondable différence qui fait que chacun d’eux est lui, dans la communion avec les deux autres !