Donne moi à boire !
L’évangile de la samaritaine, célèbre entre tous, nous fait assister à la rencontre de deux soifs : Jésus qui a soif d’eau parce qu’il fatigué et qu’il fait chaud, mais qui a surtout soif des cœurs qu’il veut éveiller à la vraie vie ̶ et la femme de Samarie qui vient chercher de l’eau au puits, mais se défend d’avoir soif d’autre chose, quand Jésus commence à lui parler d’une eau vive qui pourrait la désaltérer. Jésus qui a tout dans la surabondance du Père et qui a voulu connaître nos manques, nos privations, notre soif. La Samaritaine qui a toujours couru après le grand amour de sa vie et qui n’a rencontré que le désert d’une vie gâchée.
On peut être gravement déshydraté sans avoir le sentiment de la soif et même sans le goût pour boire (j’en ai fait l’expérience jadis dans le désert du Néguev). C’est exactement cela qui arrive à beaucoup qui, après avoir trop mordu aux nourritures terrestres, se retrouvent vidés et amers. Quand on leur parle de l’amour de Dieu, ils s’en défendent et s’en moquent, l’amour humain lui-même leur parait un leurre. Telle est la conséquence du péché : celui-ci nous a fait idolâtrer quelque chose qui n’est pas Dieu, mais qui est un reflet de Dieu, car toute créature est aimable par ce qu’elle tient de lui. Pourtant, prise pour elle-même, elle nous déçoit un jour ou l’autre, car justement elle n’est pas Dieu. Si elle était prise comme signe de sa présence, occasion de le chercher, si nous en usions selon ses intentions, elle serait un tremplin pour aller jusqu’à lui. Mais, réduite à ses propres dimensions, elle ne peut étancher la soif d’infini qui nous habite. Alors nous cassons notre jouet, nous rompons un lien qui ne nous apporte plus le bonheur.
Mais le pire n’est pas là : c’est que le désir trop tendu vers un but qui s’est révélé décevant ne réagit plus, on a plus envie de se laisser avoir, on se laisse vivre sans but, en se contentant des petites satisfactions à portée de main. Or c’est ce désir qui constitue le fond de notre être, c’est lui qui nous pousse le matin à nous lever au lieu rester couché, lui qui nous provoque à essayer d’améliorer notre situation, c’est lui encore qui nous fait espérer le bonheur dans une relation privilégiée, lui qui porte les parents à mettre au monde des enfants, lui surtout qui nous amène au seuil de l’invisible, pour chercher Dieu et nous laisser chercher par lui.
Que faire quand l’interlocuteur ne désire plus rien ? Ce que fait Jésus avec la femme de Samarie : au lieu de lui dire ce qui ne va pas, il commence par se rendre dépendant d’elle par une demande toute simple qui permettra à celle-ci de faire de l’humour sur son compte: « comment toi, un juif,… ? ». Et puis, quand la conversation est engagée, tout doucement, il l’oriente vers autre chose qu’elle feint de ne pas comprendre, mais qui l’intrigue quand même. Mi sérieuse, mi ironique, elle risque : « donne-la moi, cette eau-là ! ». Et là arrive le coup d’estoc qu’elle n’attendait pas : « appelle ton mari ! ». Devant sa réponse embarrassée, Jésus n’a plus qu’à mettre le doigt sur la plaie de sa vie : ses aventures, son échec sentimental. Comment sait-il ? Pourtant elle n’est pas jugée, elle peut continuer en confiance, elle pose même des questions théologiques : « où faut-il adorer ici ou à Jérusalem ? ». A vrai dire, c’est pour faire sérieux qu’elle dit cela, mais elle est quand même impressionnée. Elle se rappelle aussi qu’on parle beaucoup autour d’elle du Messie qui doit venir, un instant elle se demande si ce ne serait pas lui, ce mystérieux voyageur. Mais non, pas possible, ce serait trop énorme ! Elle hasarde quand même la question par une voie détournée : « je sais que le Messie doit venir. Quand il viendra, il nous enseignera tout », et Jésus de lui répondre ce qu’il n’a jamais dit à personne aussi clairement : « je le suis, moi qui te parle ! ». On sait la suite : elle croit, elle devient même missionnaire et pour appuyer sa certitude, elle n’a pas peur de dire : « il m’a dit tout ce que j’ai fait ! ».
C’est ce chemin-là qu’il nous faut apprendre, si nous voulons toucher les blessés du cœur !