C’est celui qui lâche qui gagne
Il y a une comparaison qui nous vient d’Afrique et qui me plaît beaucoup : il parait que pour capturer les grands singes qui ravagent les cultures, il y a une manière astucieuse de faire, qui est de disposer un fruit savoureux, mettons une mangue, dans un petit sac d’orifice assez étroit, attaché à un arbre. L’animal peut y plonger sa main, mais pas la sortir quand il tient le fruit. Il va donc rester prisonnier de ce piège, car il n’arrive pas à comprendre qu’il faudrait lâcher sa prise pour retrouver sa liberté.
Il me semble que cette histoire éclaire a contrario notre capacité humaine qui est de choisir nos finalités. L’instinct ne fait pas tout. Il faut arriver à dire : « je lâche cet avantage, qu’au demeurant j’apprécie beaucoup, mais c’est pour vivre mieux et même, dans certains cas, pour sauver ma vie ». C’est exactement ce que la Bible appelle la Sagesse et dont nous parle la première lecture de ce dimanche : « Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas ». Le choix inspiré par la Sagesse est dirigé vers un « mieux », une certaine qualité de vie qui n’est pas un besoin vital, mais qui donne tout son sens à notre vie. C’est pourquoi Jésus reprend le jeune homme riche qui l’a traité de « bon maître », parce qu’il risque de banaliser cette « bonté » qui est une qualité proprement divine.
L’évangile nous exhorte en plusieurs endroits à faire usage de notre liberté pour choisir la vraie vie qui n’est pas une « survie », achetée au prix de diverses concessions à la facilité. Mais, ce faisant, Jésus nous propose un choix radical qui semble plus proche de la folie que de la sagesse. « Prendre sa croix », « donner tous ses biens », c’est très beau, mais cela peut paraître un suicide, une complaisance dans l’échec… A moins que dans le cas précis où Jésus le demande (et il ne le demande pas à tous en même temps et dans toute circonstance), ce soit le moyen de nous hausser à sa hauteur et de voir dans cette mort aux yeux du monde le seul moyen de ne pas trahir notre dignité de baptisé.
Reste donc qu’il faut savoir souvent « lâcher » quelque chose de ce qui nous tient à cœur (notre confort, notre amour propre, notre manière de voir…), non par faiblesse, mais par désir de vivre plus (et mieux), de ressembler davantage à notre Maître et ainsi de « courir à pas de géant sur le chemin de la sainteté », comme l’a vécu sainte Thérèse de Lisieux.