Plaidoyer pour la mystique
L’Année liturgique commence en beauté avec deux épisodes qui nous font deviner un de ces moments de grâce où le Seigneur se rend présent au cœur de ses amis.
C’est d’abord le petit Samuel couché dans le Temple de Silo qui apprend à reconnaître la voix du Seigneur qui l’appelle par son nom durant la nuit. Mais ce sont aussi deux futurs apôtres de Jésus qui bénéficient d’une rencontre privilégiée avec lui, dont ils garderont toujours le souvenir sans pouvoir dire autre chose que cela : « ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là ».
On croit souvent que le christianisme est une religion raisonnable qui parle plus le langage de la morale que celui de mystique et qu’il faudrait laisser les exaltés chercher l’extase dans les parages du Gange sans leur accorder plus d’attention. A mon avis, c’est une erreur. Enlevez la quête personnelles de l’amour de Jésus, vous rendez la vie chrétienne ennuyeuse et sans saveur. Nous ne sommes pas les exécuteurs d’un programme de vie sans horizon, nous avons été conquis par le plus beau des enfants des hommes, qui est aussi notre Dieu étincelant, et nous voulons le chercher toujours plus. Avec saint Paul il nous faut aspirer à « le connaître, Lui, avec la puissance de sa Résurrection et la communion à ses souffrances » (Philippiens 3,10).
La mystique, la vraie, est au cœur du christianisme, elle découle, comme son nom l’indique, du mystère indicible de Jésus homme et Dieu. Nous avons été faits pour Dieu, pour le connaître et l’aimer, mais (hélas !) dans la suite du péché des origines, l’image de Dieu s’est dégradée en idole et le désir de l’homme s’est égaré dans la poursuite des biens provisoires et décevants. Il a fallu que le Fils vienne chez nous, que la beauté de Dieu se réfracte sur son humanité très sainte, pour que nous ayons la vraie connaissance de Dieu, que nous puissions en percevoir la lumière. Mais aussi, grâce à lui, notre désir blessé a pu s’attacher et se fixer. Malgré notre inconstance et notre incroyable manque de goût, nous pouvons par moment faire un véritable acte d’amour pour lui, où le ciel et la terre se rejoignent. Mais c’est un chemin long et périlleux, où il faut sans cesse repartir, continuer à demander obstinément au Seigneur de nous montrer son visage, et pour cela se détacher de ce qui nous détourne de l’essentiel. Mais quelle joie quand, même fugitivement, nous devinons le but !
L’oubli de cette profondeur mystique de la vie chrétienne explique bien des choses dans nos malheurs d’aujourd’hui. Si tout se passe sur terre, nous ne voyons plus que le côté sociologique de l’Eglise, et nous nous épuisons en combats inutiles ou en tristesses vaines. Alors nous cherchons dans les réalités du monde ce que la foi ne nous apporte plus : l’aventure, l’audace, la joie, et peu à peu nous perdons le goût de la prière et de la pratique religieuse.
Certains (et comment les critiquer ?) vont chercher dans le bouddhisme ou même dans l’Islam, ce que la foi chrétienne en leur apporte plus. Mais, sans doute, dans bien des cas, ils en reviendront déçus et amers. Ah ! si quelqu’un pouvait leur dire : « Ce que vous cherchez est là, dans la foi de votre baptême. Lisez Thérèse d’Avila ou l’autre Thérèse, allez au Mont Athos ou dans un monastère trappiste, vous trouverez ce que vous attendez, tellement plus vrai, tellement plus sûr ! »
Commençons dès maintenant.