Pasteurs et évangélisateurs
Quand on lit un texte comme le passage d’évangile qu’il nous est donné de méditer en ce 15e dimanche de l’année, on a un peu de mal à croire qu’il s’agit là de la même Eglise que celle à laquelle nous appartenons : « mettez des sandales », « ne prenez pas de tunique de rechange », « pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans la ceinture ». L’ecclésiastique d’aujourd’hui, installé dans son presbytère, organisé, affilié à la sécurité sociale, aurait-il la force de secouer la poussière de ses sandales si la Parole qu’il transmet n’est pas reçue et de partir dans la paroisse d’à côté, à la recherche des cœurs assoiffés ?
Nous nous croyons toujours dans une situation de chrétienté où le clergé encadrait une population stable, composée en majorité de catholiques pratiquants. Et là le prêtre remplissait un certain nombre de fonctions reconnues, que requerrait ce public. Mais c’est cette base qui fait de plus en plus défaut. Il faudra bien un jour prendre acte du fait que ce modèle est périmé, au moins dans nos pays, et que les successeurs des apôtres doivent partir sur les routes et dans les immeubles en quête des brebis de leur troupeau disséminé un peu partout, ils commenceront par les catéchiser, les délivrer de leurs démons, les instruire dans tous les domaines et puis les rassembler dans des formations plus ou moins larges pour recevoir les sacrements et assister à la messe. Il faudra que ces prêtres-là soient capables eux-mêmes de manquer de tout, pour venir là où on ne les attend pas et éveiller la foi au cœur des mondes les plus désorganisés qui ignorent presque tout de leur message. Entre ces deux extrêmes, il faudra sans doute une transition, mais on a intérêt à ne pas trop tarder pour s’y mettre.
En tout cas, une chose est claire : l’entretien et le défrichage ne sont plus deux activités qui pourraient exister indépendamment l’une de l’autre. Comme au début de l’Eglise, il faut évangéliser et en même temps aider les nouveaux convertis à persévérer dans leur foi. Saint Pierre, dans sa première lettre (5,1), en s’adressant aux prêtres de la primitive Eglise, n’a pas peur de se dire « co-ancien », « co-prêtre » avec eux. C’est dire que la fonction apostolique se continue tout naturellement dans les cadres de la communauté en voie de formation. Mais, en retour, cela signifie qu’il n’y a pas de structure dans l’Église qui ne soit d’abord au service de l’évangélisation. La tâche du pasteur n’est pas seulement de faire l’unité du troupeau, elle est au moins autant d’élargir sans cesse ce troupeau, de lui donner le goût et l’audace de s’adresser à ceux de l’extérieur. Si unité il y a, elle se forgera dans l’action pour faire grandir le nombre des disciples.
La capacité de survie de la foi catholique dans notre pays dépend, à mon avis, de la rapidité avec laquelle va se faire cette mutation.