Le nouveau printemps de l’adoration
Il y eut des années noires où les catholiques se détournaient de l’adoration du Saint Sacrement. J’entends encore ce slogan que beaucoup répétaient à l’envi : « Jésus n’a pas dit : ‘prenez et regardez, mais prenez et mangez !’ ». Certains soutenaient que l’adoration avait été une manière de compenser le recul de la communion chez beaucoup de fidèles découragés par une pastorale rigoriste.
Heureusement, des jours plus heureux ont ramené parmi nous la pratique de l’adoration eucharistique : les communautés nouvelles, les groupes de jeunes, qui n’avaient pas trempé dans les polémiques de la veille, ont trouvé très normal de se retrouver autour du Corps très saint de Jésus pour le chanter, le contempler, passer du temps en sa compagnie. Et peu à peu beaucoup s’y sont mis, ou remis. Et ce fut dans bien des cas un renouveau de ferveur autour du Saint Sacrement, pour lequel il faut rendre grâce.
Mais un autre danger apparait peut-être à l’horizon, une certaine banalisation, qui amène à faire de l’adoration quelque chose tellement normal, habituel, à notre disposition, qu’on n’en mesure plus le caractère exceptionnel. On fait des discours ou des témoignages devant le Saint Sacrement exposé, on répète des chants, on le laisse même quelque fois tout seul, en attendant l’arrivée d’éventuels adorateurs. Certains ouvrent et ferment la porte du tabernacle pour avoir leur adoration personnelle. Personne sans doute ne pense mal faire, j’en suis sûr, et tout cela est plein de bonnes intentions. Mais à force d’ignorer les règles qui existent sur ce sujet, on finit par faire de l’hostie sainte un grigri qu’on installe et déplace selon les besoins et les envies.
Il faut se souvenir que l’Eglise n’a consenti que tardivement à exposer son plus cher trésor, pendant longtemps elle a reculé devant l’audace d’exposer aux yeux de tout le monde le Saint des Saints, celui que les anges ne voient qu’en tremblant. C’est la ferveur des fidèles, avides de voir l’Hostie, qui l’a amenée à autoriser l’élévation à la messe, puis les expositions plus ou moins longues, les processions etc… Encore y a-t-elle mis des limites, demandant un nombre d’adorateurs minimum, exigeant des lumières nombreuses, mettant en place tout un cérémonial pour transporter et exposer le Corps du Sauveur. On a réduit aujourd’hui beaucoup de ces choses, mais on voit à quoi elles servaient : nous empêcher de penser que nous sommes face à une réalité à notre mesure.
Certains ont pu penser qu’en faisant plus simple, on rejoignait l’humilité de la crèche, où il n’y avait ni encensoir, ni cierges allumés. Mais, autour de la crèche, il y avait mieux encore : des anges pour dire aux bergers ce qui arrivait, sans eux ils n’auraient perçu qu’un simple fait divers. Pour que nous profitions du cadeau inouï que Dieu nous fait, il faut avoir un sens très vif de son indicible grandeur. Et, sans signes visibles, il est bien difficile de se situer d’emblée à ce niveau.