Le temps de la gloire
Il est de foi pour tout catholique que « l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste » (Munificentissimus Deus de Pie XII, 1950). La définition de l’Assomption ne prend pas parti sur les circonstances dans lesquelles s’est produite la fin de la vie terrestre de Marie (après une mort naturelle ou par rapt, comme Elie ?), mais elle nous demande de croire qu’il y a eu, pour elle, une entrée anticipée dans la gloire promise à l’humanité sauvée : après son Fils, mais sans attendre la Résurrection future, elle connaît dans son corps et dans son âme la complète transformation de son être pour entrer dans une vie qui n’aura pas de fin.
Certains diront peut-être : mais que signifie cette « anticipation » ? Si, comme on le déclare souvent, il n’y a pas de temps après la mort, les défunts connaissent le Jugement dernier dès l’instant de leur mort et, dans ce cas, Marie aurait le même sort que tous autres les hommes. Supposer un temps intermédiaire, distinguer un jugement « particulier » du jugement « général », parler d’une purification après la mort dans un lieu spécialisé (le purgatoire) et finalement créditer la Vierge Marie d’un raccourci qui la mènerait au ciel avant tout le monde seraient autant de conséquences d’une vision mythologique de l’au-delà : celui-ci comporterait une durée parallèle à celle de la terre avec des épisodes successifs, comme dans le Livre des morts de l’Ancienne Égypte.
Mais qui a dit que le temps n’était que pour la vie d’ici-bas ? Dieu seul n’est pas dans le temps, il n’a pas à devenir, il est. Mais les anges eux-mêmes (sans qu’on soit très renseigné sur leur condition) ont connu des épisodes successifs à leur histoire, saint Thomas risque à leur propos le mot d’ævum pour dire la temporalité qui est la leur, laquelle n’est évidemment pas du même type que la nôtre. Le temps est coextensif de notre création, il abrite notre croissance, il rend possible les choix de notre liberté et il nous accompagne encore dans notre éternité, qui n’est certainement pas figée dans l’instantané (« nous irons de commencement en commencement, jusqu’à des commencements qui n’auront pas de fin », Grégoire de Nysse). Ce n’est pas parce que nous faisons souvent une expérience malheureuse du temps (le temps qui nous fuit, le temps qui nous use, …) que celui-ci ne serait pas un cadeau merveilleux de Dieu. On peut imaginer que, dans la béatitude, il sera cumulatif et que chaque instant sera dense, chargé des trésors du passé dont nous gardons la mémoire vivante, et en même temps ouvert sur l’imprévisible nouveauté du Don de Dieu.
Pour en revenir au ciel où Marie est entré au jour de l’Assomption, c’est la richesse même de notre foi catholique de nous faire pressentir que les fins dernières ne se règlent pas dans un seul dénouement, ou plutôt que cet unique dénouement se joue dans une histoire au-delà de l’histoire qui nous fait entrer progressivement, personnellement et collectivement, avec notre corps et avec notre âme dans la Plénitude de Dieu.