La femme couronnée d’étoiles
La liturgie nous fait entendre chaque année, pour la fête de l’Assomption, ce merveilleux texte de l’Apocalypse au chapitre 12 qui a puissamment contribué à fixer l’image de la Bienheureuse Vierge Marie : « une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles ». Pourtant la suite est moins limpide. D’abord les douleurs de l’enfantement. Dans la Tradition des Pères de l’Eglise, Marie a été épargnée par les douleurs de l’accouchement au moment de mettre Jésus au monde : n’ayant pas péché, elle aurait été soustraite à la malédiction d’Eve. Mais passons. Il y a plus curieux : le Dragon qui la guette pour dévorer l’enfant à sa naissance et ensuite la poursuit ne correspond à rien de précis dans les évangiles. Bien des commentateurs ont souligné depuis longtemps que cette naissance menacée et ce sauvetage in extremis correspondrait beaucoup mieux à la situation de la toute première Eglise, celle de Jérusalem, qui avait failli périr avec tout le peuple d‘Israël au moment de la révolte juive de 70 et du siège de la Ville Sainte. Providentiellement, elle s’était réfugiée à Pella (au désert de Moab) où elle avait pu survivre à la catastrophe. Pour la plupart des exégètes, la conclusion est simple : cette femme n’est pas Marie, c’est l’Eglise qui enfante dans la douleur les croyants à la vie de grâce. Pourtant cette identification n’est pas non plus totalement convaincante, car il est bien dit que la femme « mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer », ce qui ne peut valoir que de Jésus seul et par ailleurs les débuts de la vie de celui-ci ont été aussi marqués par une réelle menace de mort à laquelle il a échappé miraculeusement. On est donc obligé de dire que cette figure féminine s’applique simultanément à Marie et à l’Eglise ou plus exactement à Marie en tant qu’elle est le prototype de l’Église, à l’Église en tant qu’elle remplit une fonction clairement mariale à l’égard de ceux que Jésus engendre à la vie divine. D’ailleurs, il est dit un peu plus loin, au verset 17, dans un passage qui n’est pas lu le 15 août, que le Dragon dépité de n’avoir pas atteint son but en essayant de noyer la Femme « se mit en colère contre (elle) et s’en alla faire la guerre contre le reste de ses enfants, ceux qui observent les commandements de Dieu et qui gardent le témoignage de Jésus ». Le reste de ses enfants, l’imbrication est ici totale, ce qui fonde à la fois la lecture mariale du texte – et donc c’est bien Marie qui nous est présentée ici dans sa gloire – et, d’autre part, la conviction que Marie est bien Mère de l’Eglise, veillant sans cesse sur elle et lui insufflant sa sollicitude maternelle, comme nous l’a rappelée la récente fête instituée par notre Saint Père le Pape.
Que l’Eglise ait une destinée mariale est une découverte qu’il faut peut-être prendre le temps de méditer. Pas plus qu’elle ne doit sa naissance aux hommes, l’Eglise ne leur doit sa fécondité : miracle toujours renouvelé d’un surgeon qui grandit et se développe, alors même qu’on annonce périodiquement sa mort programmée. Tout repose sur l’amour fidèle qu’elle porte au Christ, sur sa manière de garder sa Parole et de la méditer dans son cœur, faisant confiance à sa promesse et refusant de prêter l’oreille aux mirages du monde. Quand elle ne le fait pas, ou quand elle le fait moins, c’est son recul et sa vieillesse, alors qu’elle rajeunit à chaque crise où elle perd toutes ses sécurités pour garder son précieux dépôt. Elle a encore à subir les douleurs d’un enfantement qui dure tout le temps de l’histoire pour mettre au monde le peuple nouveau qui se lèvera au moment où le Seigneur reviendra dans la Gloire.