Pensées sur le travail
A l’évidence, deux des lectures de la messe de ce dimanche insistent sur le travail, sur l’importance de l’activité laborieuse. Mais elles l’envisagent de façon bien différente.
La première lecture, le fameux « éloge de la femme forte », à la fin du livre des Proverbes, met en valeur l’esprit d’entreprise, le sérieux de cette femme, son application à ses tâches quotidiennes dans le cadre de l’économie domestique ; le bienfait de son travail rejaillit sur son entourage et les pauvres eux-mêmes en bénéficient. A travers ce texte, on perçoit tout un idéal qui n’est pas celui du monde gréco-romain (où la supériorité est donnée au sage détaché des tâches matérielles pour vaquer à l’art, à la politique ou la philosophie). Jésus et Paul ne sont pas des intellectuels en chambre, tous deux ont eu un métier manuel.
La lecture de l’Evangile parle du travail dans un autre sens : c’est d’abord le travail de l’argent qui est pris comme modèle, ce qui ne doit pas nous surprendre, car, du temps du Christ, la banque, les lettres de change, le prêt commanditaire étaient des réalités courantes dans l’intense commerce méditerranéen rendu possible par la Pax Romana. Le prêt à intérêt n’est pas forcément usuraire, c’est une manière de fournir des capitaux pour soutenir l’activité productrice. Jésus se sert de cet exemple pour mettre en valeur l’initiative du serviteur qui, sans consigne de son maître, a pris le risque d’investir le dépôt reçu, au lieu de le thésauriser. Ce qui est mis en valeur, c’est bien sûr son intelligence, son coup d’œil, qui l’a amené à prendre à temps une décision importante, mais aussi son amour pour son maître qui l’incite à traiter les intérêts de celui-ci comme si c’étaient les siens propres et à ne pas se contenter d’une solution de paresse.
A la différence du texte précédent, le travail reçoit dans la bouche de Jésus un sens spirituel : c’est l’activité du disciple qui se donne de la peine en étroite connexion avec son maître, jusqu’à deviner les intentions de celui-ci. Au lieu de laisser improductif les dons reçus (ses « talents » !), il leur fait donner du fruit par son activité persévérante. Le passage du travail manuel au travail de l’argent a rendu possible ce dépassement.
Il y a un troisième aspect qui peut maintenant retenir notre attention : le travail désigne aussi en français et en plusieurs langues ce qui a lieu pour la femme enceinte au moment de l’accouchement. Jésus lui-même compare la venue du Royaume à l’ « heure » de la parturiente : « La femme, sur le point d’accoucher, s’attriste parce que son heure est venue; mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus des douleurs, dans la joie qu’un homme soit venu au monde » (Jean 16, 21). Le mot de travail n’est pas prononcé, mais il convient tout à fait, les préparatifs de l’accouchement sont un processus laborieux auquel participe la femme en même temps qu’elle le subit. L’œuvre qui en découle n’est pas un produit manufacturé, ni un crédit inscrit sur un compte bancaire, c’est un être vivant. Et comme ce « travail » nous éclaire sur l’œuvre de Dieu en nous ! Nous y participons, par nos efforts et nos peines, mais c’est Dieu qui agit en nous, c’est lui qui tire de notre chair vive cet homme nouveau que nous sommes aussi.
Mais ce travail est surtout l’œuvre de Dieu dans son Eglise, l’Apocalypse (12,2) nous fait contempler ainsi la Femme couronnée d’étoiles : « elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l’enfantement ».